Pourquoi la planète s’est enrichie et la faim a progressé ? Dialogue avec Thomas Pogge,Yale University.

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Conversation avec Thomas Pogge, écrivain,philosophe,professeur à l’université de Yale aux États-Unis, conseiller auprès de l’agence UNESCO des Nations Unies pour la lutte contre la pauvreté. Thomas Pogge a consacré une partie importante de sa recherche scientifique à l’analyse et à la recherche de solutions contre la pauvreté absolue et il a publié nombreux essais sur ce sujet. Auteur de plusieurs livres, traduits dans différentes langues étrangères, dont «The Ethics of Assistance: Morality and the Distant Needy.», Cambridge, Cambridge University Press 2004; «World Poverty and Human Rights : Cosmopolitan Responsibilities and Reforms.», Cambridge, Polity Press 2002. Le dialogue a eu lieu à Paris auprès de l’Organisation internationale UNESCO des Nations Unies.

Antonio Torrenzano. Vous avez écrit un essai intitulé: «La pauvreté dans le monde et les droits humains ». La pauvreté est-elle la négation d’un Droit humain? Encore, comment définissez-vous la pauvreté?

Thomas Pogge. Je ne dis pas que la pauvreté est par essence un problème de droits humains, ni que tous les cas de pauvreté relèvent de droits humains. Mais j’affirme que presque toute la pauvreté du monde contemporain est un problème de droits humains. Dès lors que la pauvreté est largement causée par autrui (par la conduite et la gouvernance des pays riches), il faudrait alors considérer cela comme une violation des droits humains. Le régime actuel du commerce mondial, par exemple, il contribue à la perpétuation de la pauvreté à travers l’ouverture du marché asymétrique qui a eu lieu dans les années 1990. Les pays pauvres n’ont toujours pas libre d’accès à nos marchés et ils sont encore gênés par les droits antidumping, les quotas et les subventions massives, par exemple sur les produits agricoles et textiles. Non seulement ces subventions rendent les produits des pays pauvres non compétitifs sur les marchés des pays riches, mais elles les empêchent aussi d’être écoulés sur les autres marchés parce qu’elles permettent aux pays riches de vendre partout leurs propres produits moins cher. En soutenant un ordre économique mondial qui préserve le droit des pays riches d’imposer de telles mesures protectionnistes dans le système du commerce mondial, ces derniers contribuent largement à entretenir le problème de la pauvreté dans le monde. Quelle définition donner à la pauvreté? La pauvreté est couramment définie en termes de revenu, mais il y a des définitions beaucoup plus larges qui tiennent compte aussi d’autres aspects de la privation. Le premier objectif du Millénaire se réfère à une définition de la pauvreté fondée sur le revenu qui est parfaitement acceptable à niveau économique et de privations. Mais d’un point de vue philosophique, la définition économique de la pauvreté n’est pas trop importante parce que du point de vue moral dépasse largement la notion de faible revenu.

Antonio Torrenzano. Le premier objectif du Millénaire des Nations Unies est de réduire de moitié la proportion de la population vivant avec moins d’un dollar par jour. Cet objectif est-il réalisable après la catastrophe financière de l’automne 2008 ?

Thomas Pogge. Je suis pessimiste, car il n’y a tout simplement aucune volonté politique de réaliser ces objectifs. Aujourd’hui, chaque pays doit assumer sa propre éradication de la pauvreté et, la plupart des pays riches, ils ne voient aucune urgence à concourir à ce processus. Ils ne pensent pas qu’ils devraient, par exemple, assouplir les lois du marché de manière à ce que les pays pauvres atteignent plus facilement l’objectif. La responsabilité est rejetée dans la plupart des cas sur les mêmes pays pauvres. De plus, la crise financière et la longue récession économique qui se produira dans le nord de la planète ne feront pas réellement rejoindre l’objectif. Il était un objectif facile à atteindre parce qu’il avait été formulé pour pouvoir être atteint dans l’année 2015. Le plan prévoyait de réduire de moitié le pourcentage de la population des pays du Sud du monde qui vit dans une grande pauvreté. Si on calcule cela en donne numérique, il s’agissait seulement de réduire de 20 % le nombre de gens très pauvres de 2000 à 2015. L’objectif révisé n’est pas très ambitieux, mais après le bouleversement financier, même cette réduction me semble une utopie.

Antonio Torrenzano.Dans vos récents séminaires vous avez comparé le problème de la pauvreté dans le Sud du monde avec certaines catastrophes du siècle dernier, je pense par exemple à la dernière guerre aux Balkans. La mondialisation a-t-elle contribué à augmenter les violations des droits humains liés à la pauvreté ?

Thomas Pogge. La mondialisation n’est pas un phénomène homogène particulier. En fait, du point de vue de la pauvreté, la manière dont la mondialisation a été dirigée ces quinze dernières années est bien pire que ce qu’elle aurait pu être. Le chemin de la mondialisation qui a été choisi a engendré et, c’était prévisible, une pauvreté bien plus grande que nécessaire. En ce sens, elle conduit à la violation des droits humains. J’ai comparé le problème de la pauvreté absolue aux exterminations actives et délibérées du siècle dernier parce qu’il s’était moralement urgent, il y a cinquante ans, poursuivre une politique capable de vaincre le défi nazi et de mettre fin à l’Holocauste; aujourd’hui, il est très urgent de traiter le problème de la pauvreté dans le monde qu’il serre un milliard d’individus. La communauté internationale a eu jusqu’à ce moment une approche ridicule sur ce problème. Les pays riches ont consacré seulement un peu plus de 50 milliards de dollars par an à l’aide publique au développement jusqu’à présent, dont seulement 4 milliards de dollars ont été investis dans des prestations sociales élémentaires. Comparés à leurs PNB cumulés de quelque 26 000 milliards de dollars, ces 4 milliards représentent évidemment un montant extrêmement faible pour un problème aussi vaste.

Antonio Torrenzano. Pourquoi la communauté internationale n’a-t-elle pas su concilier les droits économiques et sociaux, d’une part, et les droits civils et politiques, d’autre part, pour tout le monde ?

Thomas Pogge. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a une longue polémique entre ceux qui pensent que les droits civils et politiques sont les vrais droits de l’homme et ceux qui disent que les droits économiques et sociaux sont plus importants que les droits civils et politiques. Ces deux types de droit sont, bien sûr, d’une importance capitale et se renforcent mutuellement. Comme l’a fait observer Amartya Sen, les droits civils et politiques sont des supports très importants pour les droits économiques et sociaux. Dans un pays ayant une presse libre et un système politique ouvert et compétitif, les besoins élémentaires des pauvres seront plus sûrement satisfaits. Inversement, dans un pays où les droits économiques et sociaux sont garantis, où les gens n’ont pas à mobiliser toute leur énergie pour assurer leur prochain repas, une véritable démocratie a plus de chance d’exister. Donc, au rang empirique, je pense qu’il y a une forte corrélation. Sur le plan théorique, je pense encore que les droits de la personne sont indivisibles dans le sens où une vie humaine dans laquelle certains de ces droits sont insatisfaits est une vie brisée. Comme philosophe, je souligne que la pauvreté est une très grande responsabilité morale, bien plus grande que n’importe quelle autre de nos présentes responsabilités. Nous sommes complices d’un immense crime contre l’humanité commis en avalisant le présent ordre économique mondial.

Antonio Torrenzano

 

Net Bibliogr@phie.

Pour en savoir plus sur les recherches de Thomas Pogge, voir le site http://www.policyinnovations.org ou la page web http://www.etikk.org/globaljustice de l’université de Oslo. Consultez-vous aussi la page personelle du philosophe au suivant adresse: http://pantheon.yale.edu

 

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