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L’attaque lancée par le maréchal Khalifa Haftar contre les autorités de Tripoli, gouvernement reconnu par la communauté internationale, n’est pas surprenante tant est l’obsession du maréchal de s’imposer comme le chef incontestable de la Libye. Galvanisé par ses anciens succès militaires, Khalifa Haftar, 74 ans, ne cache plus ses ambitions : être le nouveau Kadhafi.

Le maréchal a lancé son blitz sur Tripoli (opération militaire baptisée Libérer Tripoli) profitant de la situation d’instabilité politique qui prévaut depuis plus d’un mois en Algérie. Le militaire de l’Est libyen a donné l’ordre à ses milices de marcher sur la capitale avec le but de déclencher un nouveau conflit et le dominer. Depuis 2015, deux autorités se disputent le pouvoir en Libye : le gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, établi fin 2015 en vertu d’un accord international parrainé par l’ONU et basé à Tripoli; une autorité rivale installée dans l’est du pays et contrôlée par l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar.

«L’heure a sonné», a déclaré jeudi 6 avril 2019, le maréchal Khalifa Haftar dans un message sonore publié sur la page Facebook de l’ANL, en dictant à ses troupes de brûler le pavé sur Tripoli où elles ne devaient épargner que les civils, les institutions de l’État et les ressortissants étrangers. La même soirée, l’officier Ahmad al Mesmari, le porte-parole du maréchal Khalifa Haftar, confirmait la nouvelle que les forces de l’ANL étaient aux portes de la capitale.

De sa part, le président du Conseil du gouvernement reconnu Fayez al Serraj ordonnait aux troupes loyales au GNA de se «tenir prêtes à faire face à toute menace». Des affrontements ont opposé ce vendredi une coalition de groupes armés loyaux au gouvernement d’union nationale aux forces de l’armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Tripoli. Selon une source de sécurité du GNA, les combats se déroulent dans les régions de Soug al-Khamis, al-Saeh et Soug al-Sabt, à moins de 50 km au sud de Tripoli, un territoire fondamentalement de fermes agricoles. Le bureau média de l’ANL a confirmé des combats près de Tripoli. « Les forces armées et les soldats de toutes les régions de Libye sont actuellement engagés dans des affrontements violents à la périphérie de Tripoli contre les milices armées », a-t-il indiqué sur la page Facebook.

En tout cas, il s’agit des premiers combats qui nous donnent des informations claires sur les deux forces militaires depuis l’installation du GNA à Tripoli fin mars 2016. À l’échelle militaire, on ne sait pas si l’offensive a l’ambitionne à encercler la ville de Tripoli ou à entrer vraiment dans la capitale. Du côté du gouvernement internationalement reconnu, Fathi Bach Agha, ministre de l’Intérieur, a multiplié ses déclarations depuis ce jeudi. Il est en train d’accuser, sans le nommer, un pays arabe pour avoir donné le feu vert à cette offensive de Khalifa Haftar. Il y a moins d’une semaine, Khalifa Haftar avait été en Arabie saoudite. Il avait rencontré le roi Salman et le prince héritier. Même le président du conseil gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj contre la France.

Washington, Paris, Londres, Rome et Abou Dhabi ont réagi dans un communiqué commun, demandant à «toutes les parties» libyennes de faire baisser «immédiatement les tensions». Le Kremlin a pour sa part mis en garde la communauté diplomatique contre la possible «reprise du bain de sang» en Libye. Moscou a appelé tous les acteurs politiques du pays à un règlement «pacifique et politique» du conflit. «Nous estimons indispensable de poursuivre tous les efforts possibles pour une résolution complète de la situation avec des moyens politiques et pacifiques», a déclaré le porte-parole Dimitri Peskov qui insiste sur le fait que Moscou ne participe «d’aucune manière» au soutien militaire des troupes du maréchal Khalifa Haftar, même s’il a été reçu à Moscou en 2017 par le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. Cette escalade des tensions intervient 10 jours avant la tenue de la Conférence nationale libyenne sous l’égide des Nations Unies, du 14 au 16 avril, appelées à dresser une feuille de route pour sortir le pays du chaos.

En visite en Libye, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, s’est dit jeudi préoccupé par le risque de confrontation. «Je suis profondément préoccupé par les mouvements militaires en Libye et le risque de confrontation. Il n’y a pas de solution militaire. Seul le dialogue intra-libyen peut résoudre les problèmes », a dit Antonio Guterres sur son compte Twitter. « Je quitte la Libye avec une profonde inquiétude et un coeur lourd », a ensuite déclaré le secrétaire des Nations Unies à l’aéroport, « espérant toujours possible d’éviter une confrontation sanglante à Tripoli et ses environs». Réunis vendredi en France, les ministres des Affaires étrangères des sept pays les plus industrialisés (G7) ont exhorté «tous les acteurs à stopper immédiatement tous les mouvements militaires vers Tripoli, qui entrave les perspectives du processus politique mené par l’ONU».

Le maréchal Khalifa Haftar jusqu’où ira-t-il ? Si certains voient en lui un nouveau Muammar Kadhafi, il n’en a pas moins le soutien de l’entière communauté internationale, même si lui bénéficie de solides soutiens à l’étranger. L’homme fort de la Cyrénaïque s’imposera-t-il sur la chaotique scène politique libyenne ? Né en 1943, dans la ville d’Ajdabiya, dans l’est, le jeune Khalifa entre à l’Académie militaire royale à 20 ans. Il y fait la connaissance de Muammar Kadhafi. Ensemble, ils trament le coup d’État qui, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1969, met à la porte le roi Idris Ier et installe Kadhafi à la tête du pays.

En 1978, Kadhafi envoie Khalifa Haftar suivre une formation militaire à Moscou. Huit ans plus tard, l’ancien chef libyen lui confie la délicate conquête de la bande d’Aozou, aride langue de terre à l’extrême nord du Tchad. L’opération militaire est un échec. L’armée du président tchadien Hissène Habré,soutenue par les forces françaises, anéantit le corps militaire libyen. Le maréchal Haftar est capturé avec plusieurs centaines d’hommes. Humilié, Kadhafi l’abandonne à son sort. Son ancien compagnon d’armes restera au Tchad soutenu par la CIA américaine jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby, nouveau président tchadien soutenu par Mouammar Kadhafi.

Avec Idriss Déby, Khalifa Haftar est déclaré persona non grata. Les services secrets USA le rapatrient vers les États-Unis et l’installent dans une petite ville de la Virginie occidentale. Là-bas, Khalifa Haftar demeurera vingt ans. Haftar, l’homme des Américains ou l’homme de tous les services secrets ? Cette réputation lui colle à la peau lorsqu’il rentre en Libye en 2011 et soutient l’insurrection anti-Kadhafi. Il prend la direction des combats contre les troupes du Raïs, mais il se retrouve englué dans des luttes de pouvoir. L’Histoire aurait pu s’arrêter là, mais Khalifa Haftar est très habile et il connait très bien les alchimies précaires du chaos libyen.

Antonio Torrenzano

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Huit ans après la chute du colonel Kadhafi, la Libye est plus fragmentée que jamais. Depuis la chute du colonel Khadafi en 2011, la Libye s’est enlisée dans une spirale destructrice ayant des conséquences en Afrique du Nord, dans le Sahel et toute la Méditerranée. Selon les données statistiques des Nations Unies, le conflit aurait fait près de 60 000 victimes; les violences, notamment les attaques menées contre les installations pétrolières, ont perturbé l’économie libyenne. Les déplacés et les réfugiés se sont multipliés à l’intérieur du pays et dans les pays voisins. Environ 200 000 personnes sont toujours déplacées à l’intérieur des frontières, en décembre 2018.

La production et l’exportation du pétrole, qui représente la quasi-totalité des exportations libyennes, ont chuté de plus de 80 % par rapport aux niveaux d’avant guerre. L’absence d’une organisation étatique sûre a offert à plusieurs groupes criminels un terrain privilégié pour diriger des portions entières de territoire et se livrer aux trafics de drogue, d’armes et de migrants. Des activités très rentables avec une haute cotation de rémunération.

Selon le dernier mémorandum de l’organisation internationale Human Rights Watch, des milices incontrôlées, dont certaines ont des liens avec les ministères de l’Intérieur et de la Défense du gouvernement d’union nationale (GUN) et d’autres avec l’Armée nationale libyenne (ANL) affiliée à son rival ont continué de s’affronter dans diverses régions du pays, tandis que les efforts pour réconcilier les principaux partis dans l’est et l’ouest de la Libye ont échoué. Dans le sud, des groupes armés touaregs et arabes ont eux aussi continué de s’affronter pour s’assurer le contrôle de portions de territoire et de ressources. Ces groupes armés ont commis des exécutions extrajudiciaires et mené des attaques contre des civils et contre leurs biens; d’autres ont commis des enlèvements et des actes de torture et fait disparaître de force certaines personnes.Ces milices salafistes, laïques ou tribales se répartissent sur l’ensemble du territoire. Le GUN a eu des difficultés à étendre son contrôle sur le territoire et les institutions dans l’ouest de la Libye. L’ANL, commandée par le général Khalifa Hiftar et alliée au gouvernement provisoire, a étendu son contrôle sur des territoires situés dans l’est et dans le sud.

Au contraire, les mouvements djihadistes Ansar Al-Charia et l’État islamique demeurent de manière solide dans certaines villes: Syrte, Benghazi, Derna, Tripoli. Daech a commis plusieurs attaques dans lesquelles des civils et des membres des forces de sécurité ont été tués. Le 2 mai 2018, Daech a revendiqué la responsabilité d’une attaque contre le HCNE à Tripoli qui, selon des informations de presse, a fait 14 morts, pour la plupart des employés du Haut-Commissariat, et au moins 19 blessés. L’État islamique s’est même déclaré responsable d’une attaque perpétrée le 29 octobre 2018 contre al-Foqha, une ville du centre de la Libye. L’attaque a produit le décès de quatre civils – dont deux ont été exécutés en public – et l’enlèvement d’au moins d’autres neufs individus selon la mission ONU en Libye.

«La complexité de la guerre – écrit Archibal Gallet de l’Institut de relations internationales IFRI – vient du fait que la Libye doit faire face en réalité à une superposition de conflits. À l’échelle nationale, la confrontation entre anciennes et nouvelles élites recoupe partiellement un clivage entre islamistes et sécularistes, mais trouve d’abord ses racines dans la concurrence économique entre les différentes villes du littoral. Au niveau international, la Libye constitue désormais un front opposant le djihadisme international aux puissances séculières de la région. L’État islamique a signé par le sang sa présence en Libye et en Tunisie, revendiquant une série d’attaques et d’exécutions suivant le mode opératoire de son pendant irakien. L’Égypte et les Émirats interviennent directement dans le conflit […], tandis que le Qatar et le Soudan soutiennent certaines milices islamistes en Cyrénaïque. Le sud du pays, qui jouit d’une autonomie de fait, est devenu le refuge de bandes armées de toutes origines ayant pris part aux différents conflits régionaux ». Les États-Unis ont continué d’effectuer ce qu’ils appellent des « frappes aériennes de précision » contre des objectifs appartenant à Daech et à Al-Qaïda dans le sud et l’ouest du pays.

À l’échelle internationale, il y a en outre une compétition pour les ressources : à la frontière entre Cyrénaïque et Tripolitaine, le golfe de Syrte comprend les principaux ports et raffineries du pays, ainsi que plusieurs champs pétroliers dans un rayon de 200 km à l’intérieur des côtes. Le sud-est du pays présente également plusieurs intérêts stratégiques, tout aussi âprement disputés. Le contrôle des revenus liés à la protection des installations d’extraction pétrolière autour des champs de Sharara et de Fil a donné lieu, dès 2013, à de constantes frictions entre milices de Zintan et Touaregs. Parallèlement au pipeline qui relie les champs pétroliers du sud-ouest à la capitale, coule la Great Man Made River (un Canal souterrain qui, depuis 1997, irrigue la côte libyenne d’eaux fossiles pompées dans les nappes sahariennes) à travers les montagnes du Jebel Nafusa, fief de Zintan dont les milices se sont retirées de Tripoli. Les Zintanis ont à plusieurs reprises menacé d’assécher le littoral, sans mettre à ce jour leur menace à exécution.

Le 8 novembre 2018, le représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), Ghassan Salamé a déclaré au Conseil de sécurité que « 80% des Libyens insistent sur la tenue des élections et ils sont fatigués de l’aventurisme et des petites manœuvres politiques ». Pour les Nations Unies, il faut donc soutenir le processus politique. Selon Ghassan Salamé, les Libyens veulent avancer avec la Conférence nationale pour avoir un processus électoral au printemps 2019. L’approche du Représentant spécial de l’ONU est soutenue par plusieurs membres du Conseil de sécurité, inquiets de l’impasse dans laquelle se trouve le processus politique en Libye, en raison de l’incapacité de la Chambre des représentants d’adopter la loi électorale. C’est le manque de volonté politique des dirigeants libyens, réticents à regarder au-delà de leurs intérêts personnels, qui bloque le processus politique dans le pays. En Libye, le statu quo est « intenable » a reconnu la Suède, tandis que la France estime que seules des élections peuvent produire une stabilité politique indispensable pour sortir de ce statu quo. Pour l’Éthiopie, toutes les conditions législatives, politiques et sécuritaires doivent être réunies en Libye pour faciliter la tenue d’élections crédibles et acceptables aux yeux de toute la population. La réunion nationale à Tripoli prévue pour le mois d’avril 2019 pourra-t-elle être une occasion pour sortir de l’impasse politique et du conflit permanent ?

Le Représentant spécial ONU pour la Libye a expliqué mercredi 20 mars 2019 au Conseil de sécurité que la Conférence nationale, prévue pour le mois d’avril, est une « occasion cruciale » de mettre fin à une période de transition de huit ans et une situation qui a atteint un « point critique ». Selon lui, le peuple libyen, qui souhaite « ardemment » l’unification des institutions du pays, se heurte à des puissances qui ont profité du chaos et de la division et qui sont réticentes à aller de l’avant. Prévue du 14 au 16 avril, en Libye, la Conférence nationale doit être l’occasion d’établir une feuille de route pour mettre une limite à la période de transition, grâce à l’organisation des élections législatives et présidentielles. Selon Ghassan Salamé, la Libye est prête pour cette réunion nationale afin de mettre une limite au « bras de fer » entre tous les sujets politiques et édifier un gouvernement qui placerait l’intérêt suprême des citoyens au-dessus de tout, en rejetant les divisions.

Le représentant spécial a d’ailleurs indiqué qu’après deux cycles de pourparlers, facilités par la Mission de l’ONU, le premier ministre Faiez Mustafa Serraj et le général Khalifa Haftar se sont mis d’accord sur le fait que la Libye doit être un État civil gouverné démocratiquement, jouissant d’un contrôle totalement civil de l’armée et d’une transition pacifique du pouvoir. La Conférence nationale du mois d’avril 2019 est donc une occasion pour le pays, mais aussi pour l’entière région de l’Afrique du Nord. L’échec, au contraire, serait la suite du conflit avec des conséquences ravageuses dans le Sahel et toute la Méditerranée.

Antonio Torrenzano