Quel nouvel humanisme dans la société complexe? Dialogue avec Réda Benkirane,ONU Genève.

Conversation avec Réda Benkirane, sociologue, écrivain, chercheur, spécialiste de l’information, il est consultant auprès des Nations Unies (CNUCED) à Genève. Ses ouvrages traitent de la Complexité, l’interdisciplinarité et l’interculturel. Réda Benkirane s’occupe depuis longtemps de la construction des savoirs en fonction de la complexité du monde. Un thème très contemporain qu’il a raconté dans son dernier essai « La Complexité, vertiges et promesses: 18 histoires de sciences d’aujourd’hui». Dix-huit histoires sous formes d’entretiens où l’auteur interroge sur la Complexité Edgar Morin, Ilya Prigogine, Neil Gershenfeld, Daniel Mange, Jean-Louis Deneubourg, Luc Steels, Christopher Langton, Francisco Varela, Brian Goodwin, Stuart Kauffman, Bernard Derrida, Yves Pomeau, Ivar Ekeland, Gregory Chaitin, John Barrow, Laurent Nottale, Andrei Linde, Michel Serres. « Je crois, affirme l’auteur, que la raison d’être de ce livre est simplement de tenter de comprendre le monde de demain, et de fonctionner sur le mode de la curiosité plutôt que sur celui de la peur de ce qui va advenir, de tout ce qui pourrait advenir. Je suis à cet égard frappé de voir combien les sociétés technologiquement les plus avancées, politiquement les plus puissantes, militairement les plus imposantes sont tenaillées par la peur. Ce livre est le résultat d’une enquête ethnologique sur les sciences contemporaines. Il me semble que l’approche de la complexité peut être utile aux sociologues et anthropologues pour mieux saisir ces ”Touts sophistiqués” (sophisticated wholes) ou ces ‘’Nous’’ subtilement enchevêtrés (les nôtres et les autres) qui abondent dans toutes sortes d’environnements ».Son site numérique http//www.archipress.org

 

Anna Hohler. Comment expliqueriez-vous la notion de complexité ?

 

Réda Benkirane. La complexité désigne les phénomènes dont «le tout est plus que la somme des parties». Pour signifier ce que la complexité est, je citerais quelques exemples : Internet, marchés financiers, avalanches, crues, extinctions massives d’espèces vivantes, turbulences atmosphériques, fluctuations erratiques de populations animales, progression de maladies épidémiques, évolution de régimes politiques, fonctionnement du cerveau, des gènes, la liste est longue. Pour dire ce que la complexité n’est pas, c’est-à-dire la complication, je citerais encore les exemples de la montre et de l’automobile dont les mécanismes, aussi compliqués soient-ils, ne sont pas complexes. On peut décomposer l’ensemble en éléments que l’on peut remonter pour aboutir à l’objet initial. Il n’en est pas de même des objets complexes.

 

Anna Hohler. Qu’est-ce qui caractérise un système complexe ?

 

Réda Benkirane.Un système complexe est caractérisé par la non-linéarité (quand causes et effets ne sont pas proportionnels), par l’émergence (les propriétés du tout ne sont pas réductibles à celles des composants de base) et enfin par l’évolution (le temps est la dimension dans laquelle le mouvement, l’incertitude se déploient).

 

Anna Hohler. S’agit-il d’une nouvelle discipline ou plutôt d’une nouvelle façon d’aborder des disciplines existantes ?

 

Réda Benkirane.Certains imaginent la complexité comme une nouvelle discipline, d’autres pensent que ce thème est trans- et interdisciplinaire. Personnellement, je suis enclin à penser que c’est plutôt une manière d’aborder des disciplines existantes, de les faire dialoguer entre elles pour traiter de problèmes qui sont plus larges que les différents domaines de validité. Nous sommes entourés de beaucoup de connaissance, mais cernés par une incommensurable inconnaissabilité. Mais ce n’est pas un fait angoissant, c’est au contraire un gain de connaissance! Mais attention, ce dialogue entre disciplines ne peut pas advenir sans rigueur et discipline.

 

Anna Hohler. Comment décririez-vous la complexité aujourd’hui ?

 

Réda Benkirane. Nous vivons actuellement son âge d’or. C’est une science participative de ce qu’elle observe, elle décrit des phénomènes hors de notre contrôle et de notre horizon de prédictibilité. Les sciences non linéaires actuelles mettent fin à une crise de l’interprétation. Il s’agit de décrire des phénomènes très différents entre eux du point de vue des composants, mais qui ont en commun une dynamique et des propriétés d’ensemble. En comprenant les propriétés d’émergence, de turbulence, d’écart à l’équilibre, de transition de phase, en révélant les limites de la calculabilité ou de la prédictibilité, nous comprenons mieux la nature de la nature et nous apprenons à interagir avec elle. Cosmos, bios, homo, toutes ces différentes échelles sont des échelles de la complexité. Ce qui pose problème, cependant, est à mon sens la culture de la complexité qui, en dehors des laboratoires, a du mal à s’imposer au sein de la société qui, elle, procède d’une culture traditionnelle où l’ordre et la stabilité sont des valeurs cardinales. La société se trouve très mal à l’aise avec le temps chaotique et imprévisible, qui n’a plus rien à voir avec le temps chronométrique, hyperstable et réversible auquel on était habitué.

Anna Hohler

 

 

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