Et l’homme créa le cyberespace… Conversation avec Joël de Rosnay, Cité des sciences et de l’industrie.

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Conversation avec Joël de Rosnay, docteur ès sciences, président exécutif de Biotics International et conseiller du président de la Cité des sciences et de l’industrie. Ancien chercheur et enseignant au Massachusetts Institute of Technology dans le domaine de la biologie et de l’informatique, il a été successivement attaché scientifique auprès de l’ambassade de France aux États-Unis, directeur scientifique à la Société européenne pour le développement des entreprises et directeur des applications de la recherche à l’Institut Pasteur. Auteur de nombreux essais dont « Branchez-vous » avec Stella de Rosnay, édition Olivier Orban, (1984), grand prix de la littérature micro-informatique grand public en 1985;«L’avenir en directe », édition Fayard,(1989);«La révolte du pronétariat», Fayard édition, (2005); « 2020.Les scénarios du futur», Fayard, 2008. La conversation a eu lieu à Paris au mois de mai 2008.

Antonio Torrenzano. Comment comprendre la complexité du cyberespace ?

Joël de Rosnay. J’utilise ici un raccourci un peu simpliste pour démontrer que l’évolution technologique est capable d’une plus grande accélération que l’évolution biologique. Une invention est un peu l’analogue d’une mutation. L’homme invente la roue, le crayon,l’aile, le moteur et… ces inventions ont toujours créé une accélération. La différence est que la biosphère a évolué au cours de milliards d’années, la technosphère en quelques dizaines de siècles. Quand l’homme invente le cyberespace et le monde numérique où il peut construire un objet virtuel sur son ordinateur, il s’est doté ( peut-être sans vraiment le savoir) d’une extraordinaire possibilité d’accélération. En effet, l’évolution de la cybersphère se réalise en quelques décennies. On peut analyser cette évolution ou l’on peut l’assimiler à l’approche darwinienne d’un mécanisme de création de variété, c’est-à-dire à un générateur aléatoire de variétés. Dans le cyberespace, de nombreux programmes seront (un peu comme l’ADN d’une certaine manière) téléchargés, utilisés, copiés, améliorés par des utilisateurs. En reproduisant ces programmes, les internautes vont parfois commettre des erreurs, parfois les améliorer. Certains vont développer de nouveaux programmes à partir des programmes originaux que les internautes, d’une manière variée, vont alors choisir de conserver ou d’éliminer selon leur intérêt pour les fonctions proposées. Les mauvais programmes seront rejetés. Ceux qui seront adaptés à un usage donné viendront renforcer l’existant. On note que les mêmes mécanismes de reproduction, d’imitation, de variation, de disparition et d’adaptation s’appliquent aux objets du cyberespace comme à l’ADN. Ce phénomène crée de la complexité, et donc des systèmes de plus en plus variés, interdépendants, sélectifs et adaptés à l’environnement dans lequel ils évoluent.

Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous faire une autre analogie du réseau net après la convergence technologique ?

Joël de Rosnay. Depuis quelques années, on ne présente plus internet. Internet est considéré aujourd’hui comme un véritable phénomène de société qui fait apparaître, à l’échelle mondiale, de nouveaux pouvoirs, de nouveaux enjeux, des nouveaux défis. Mais aussi de nouveaux risques et de nouvelles craintes. On peut comparer le cerveau avec l’organisation d’internet. Des travaux sérieux, menés à l’échelle mondiale, expliquent qu’internet se développe un peu comme les synapses, les neurones, les axones ou les dendrites d’un cerveau humain. Internet fait appel à des mécanismes non pas analogues, mais voisins que la communauté scientifique appelle d’isomorphes. Le net serait donc une sorte de système nerveux dont les internautes seraient les neurones. Il possède une structure de base, fractale (telle que décrite par Benoît Mandelbrot), bâtie sur le modèle des capillaires sanguins de l’être vivant. Internet n’est pourtant pas un nouveau média comme on le décrit généralement et j’expliquerai pourquoi. Plus les technologies se marient entre elles, plus le phénomène s’accélère et se complexifie. La convergence technologique est donc liée à l’accélération. Dans ce contexte, internet est désormais loin de la description qui a été faite il y a dix ans. On a coutume de réduire internet à une technologie de l’information et de la communication (une TIC) ou à un nouveau média. D’une certaine manière, c’est sans doute vrai, mais cette définition est réductrice. Internet n’est pas une TIC, mais une TR, une technologie de la relation. Internet ne peut être réduit à un nouveau média qui s’ajouterais à l’imprimerie, à la radio, à la télévision ou encore à la Poste. Toutes ces fonctionnalités (le texte, la radio, la télé ou le courrier) existent aussi sur Internet. Davantage qu’un « média des médias », Internet est un «écosystème informationnel».

Antonio Torrenzano. Comment gérer alors cette complexité pour construire le monde de demain? Et encore, comment mieux la comprendre ?

Joël de Rosnay. L’évolution scientifique et technique du monde peut être caractérisée par trois mots : complexité, accélération et convergence. En effet, le progrès scientifique et le progrès technologique s’alimentent l’un l’autre. Il en résulte un effet d’amplification créant de nouveaux défis pour le financement de la recherche, la compétitivité industrielle et économique, l’impact sur les populations, la prospective et l’évaluation des choix technologiques. Nous sommes en présence de trois évolutions qui se chevauchent, avec des durées différentes: l’évolution biologique, l’évolution technologique et l’évolution numérique. L’évolution biologique prend des millions d’années. L’évolution technologique fait appel à un Nouveau Monde, celui du cerveau. En interaction avec le monde réel, apparaît donc celui de l’imaginaire. Avec l’avènement du numérique, on entre dans un troisième monde : le virtuel. De la rencontre de ces trois mondes résulte une extraordinaire accélération. Quatre préfixes me paraissent alors symboliser notre monde contemporain, mais encore plus pour le futur, des convergences déterminantes : il s’agit des préfixes info,bio,nano et éco.

Antonio Torrenzano. Avons-nous besoin des approches complémentaires ?

Joël de Rosnay. Il existe bien sûr la méthode analytique que nous a léguée Descartes. L’approche analytique se concentre sur les éléments et considère la nature des interactions, indépendamment de la durée. Lorsqu’on modifie un système complexe, on modifie une variable à la fois et la validation des faits s’obtient par la preuve expérimentale dans le cadre d’une théorie. L’approche analytique est essentielle, mais face à la complexité nous avons besoin d’une seconde, une approche complémentaire qu’on appelle approche systémique (de système), qui permettra d’étudier la complexité sans la découper en petits morceaux. Cette approche cherche à relier les éléments d’un système complexe en se concentrant sur les interactions. Alors que l’approche analytique considère la nature des interactions et leurs causes, l’approche systémique considère les effets des interactions. Cette approche modifie, par la simulation sur ordinateur, des groupes de variables simultanément.

Antonio Torrenzano

 

Post scriptum.

Toutes les conférences de Joël de Rosnay, comme toutes celles du Collège de la Cité des sciences, sont disponibles en vidéo avec tous les documents, tableaux et schémas qui les illustraient, sur le site web de la Cité. Http://www.cite-sciences.fr . Cliquer sur «conférences» et, dans la case «recherche», taper Joël de Rosnay. Le site web de Joël de Rosnay est http://www.derosnay.com

 

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