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Conversation avec Daly Belgasmi, agronome, économiste, directeur du bureau Programme alimentaire mondial des Nations Unies à Genève. Le dialogue a eu lieu à Genève pendant un séminaire avec des étudiants italiens, le 20 mars 2008.

Antonio Torrenzano. La situation alimentaire dans le monde, elle n’est pas satisfaisante. Les agences techniques des Nations Unies ont recensé plus de 39 pays affectés par des crises alimentaires,dont 25 en Afrique, 11 en Asie et Proche-Orient, 2 en Amérique latine et 1 en Europe, la Tchétchénie.

Daly Belgasmi. Le monde est confronté au problème de la faim qui se présente aujourd’hui dans une manière énorme. L’augmentation des prix des céréales et du pétrole autant que de la baisse du dollar a changé le panorama économique. Jamais l’index des prix des céréales n’a été aussi élevé depuis sa création en 1845. Jamais les réserves alimentaires dans le monde n’ont été aussi basses : 53 jours de réserve aujourd’hui contre 169 jours en 2006. Nous sommes entrés dans une ère où il n’y a plus de surplus alimentaire. Nous avons à relever un défi comme n’en avons jamais connu. Dans le monde industrialisé, une famille dépense en moyenne 15% de ses revenus à l’achat de norriture.Dans les pays pauvres, ce pourcentage atteint parfois jusqu’à 75%. Or, si comme les économistes affirment, les prix des céréales augmentent encore de 20%, comment feront-ils les familles des pays du Sud de la planète ? Le spectre de la famine commencera alors à se dessiner. Pas étonnant dans ces conditions que des manifestations contre l’augmentation des prix des céréales aient éclaté au Burkina Faso, au Mexique,au Cameroun et ailleurs dans le monde. Aucun Pays en voie de développement ne peut être épargné.

Antonio Torrenzano. L’agriculture, dans sa configuration contemporaine et dans les cadres de politiques libérales, peut conduire à des raretés pénibles. En termes absolus, l’objectif du Millénaire de réduire de la moitié le nombre des individus affamés pourra-t-il être rempli ?

Daly Belgasmi. Nous sommes non seulement loin de pouvoir atteindre l’objectif du Millénaire de réduire la moitié du nombre des 852 millions de personnes affamées dans le monde d’ici 2015, mais nous risquons de perdre les acquis. En termes absolus et en raison de l’augmentation de la population mondiale, quatre millions de personnes de plus chaque année souffrent la faim. Les actions développées par le PAM et les autres agences techniques des Nations Unies, elles ont produit des progrès. Des pays, par exemple, comme la Chine et l’Indie ont tiré de la misère des millions des leurs citoyens. Le Ghana, le Chili, le Brésil et le Vietnam pourraient atteindre l’objectif du Millénaire. Le Programme alimentaire mondial, après l’augmentation de 40% de ses couts d’achats de vivres et de transport depuis le mois de juin 2007, il aura besoin au moins d’un demi-milliard de dollars de plus sur son budget prévu de 2,9 milliards de dollars pour maintenir l’assistance à 73 millions de personnes. Une évolution qui peut paraître impressionnante si l’on ne tient pas compte de la progression de la faim dans le monde. La fin de la guerre froide a entraîné de plus la multiplication des conflits. Sans parler du plus grand nombre de catastrophes naturelles.

Antonio Torrenzano.Dans ces conditions, il faudra sans doute plus de moyens que prévu pour résoudre les problèmes annoncés, notamment en Afrique. Il faudra exercer une pression mondiale plus forte pour mener une meilleure situation de vie dans ces régions et alerter la communauté internationale sur la nature et l’urgence des mesures à prendre.

Daly Belgasmi. Plusieurs facteurs expliquent le prix élevé des céréales:l’augmentation du prix du pétrole, les changements climatiques, la production des biocarburants, la croissance économique de la Chine et de l’Indie. Il est donc urgent que les pays industrialisés revitalisent leur aide au développement agricole qui n’a pas bougé depuis 1984 et que les pays africains qui se sont engagés à utiliser 10% de leur budget national pour le développement agricole le fassent sans tarder. Car il s’agit du défi plus important à relever pour la paix et la sécurité dans le monde. L’heure est grave et le Programme alimentaire mondial ne sonne pas l’alarme sans raison. Le temps est une donnée cruciale de l’action humaine, surtout dans la relation de l’homme avec la nature.

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Jean Ziegler, professeur à l’Université de Genève, rapporteur spécial de la commission de droits de l’Homme des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Le dialogue a eu lieu pendant les journées internationales d’étude auprès de la Fondation Pio Manzù à Rimini.

Fabio Gualtieri. Jurgen Habermas, dans son dernier livre, fait plusieurs fois usage du mot “weltinnerpolitik”.Quel sens donnez-vous au concept de Habermas?

Jean Ziegler. Tout ce que les Chefs d’État peuvent faire aujourd’hui sur le territoire qui contrôlent constitutionnellement,à l’intérieur des frontières nationales, c’est transférer et appliquer le diktat du capital financier mondial. La première chose qui fait au matin le premier ministre italien ou Madame la première ministre Angela Merkel quand elle se lève, comme tous leurs collègues, c’est consulter les données et les indicateurs économiques du jour précédent pour savoir – comme Habermas dit – le millimètre d’espace qu’il lui reste pour définir sa propre politique fiscale, politique d’investissement, politique de croissance.

Claudio Poletti. Pourrons-nous éviter tout cela ?

Jean Ziegler: Nous sommes à la deuxième série de questions. Richesses immenses se sont produites dans les mains d’un numéro très resserré de firmes. Je ne l’ennuierai pas avec des numéros, car tout ceci se trouve déjà dans mon essai la “privatisation du monde” qui est aussi traduit en langue italienne. Je me limiterai à faire des exemples. Les 225 plus importantes multinationales du monde ont ensemble dépassé 1200 milliards de dollars, qui correspondent aux avoirs de 43,8% des hommes de la planète, plus de 2,6 milliards d’individus. Actuellement nous sommes 6,2 milliards d’habitants sur la planète; 4,8 milliards d’individus vivent dans un des 122 Pays en voie de développement tandis que 225 individus possèdent l’équivalent de ce qu’il dispose le 43,8% de l’humanité. En 2005, presque 200 sociétés multinationales contrôlaient toutes seules le 23,8% du produit mondial brut, c’est-à-dire le 23,8% des richesses produites sur la planète. Les sociétés privées sont devenues plus puissantes que les États. Je ne ferai que deux exemples qui ne concernent ni le Tchad, ni l’Éthiopie,ni le Bangladesh. Le volume d’affaires de la société General Motors – l’année dernière – a dépassé le produit intérieur brut de l’État du Danemark; le volume d’affaires de l’Exxon Mobil a dépassé, en revanche, le produit intérieur brut de l’Autriche. La seule chose que l’on puisse faire, c’est d’expliquer aux gens ce qu’il y a derrière toutes ces spécificités financières et chercher ainsi à les dénoncer.

Antonio Torrenzano. Je trouve que les élites vivent dans un monde raréfié, où c’est réel seulement le quantifiable. Mais alors, la pauvreté, la faim, les épidémies, la guerre dans le sud du monde sont-elles aussi un progrès quantifiable?

Jean Ziegler. Entre les quatre cavaliers de l’apocalypse du sous-développement: la faim, la soif,les épidémies et la guerre, je prendrai en considération simplement la faim. Chaque jour sur la planète 100.000 individus meurent de faim ou de ses conséquences immédiates. Toutes les sept secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim, toutes les quatre minutes quelqu’un perd la vue pour carence de vitamine A. En 2002, 846 millions d’individus ont souffert la faim, sous-alimentez, ils ont cessé d’avoir chaque type de vie sexuelle, familiale, relations dans le monde du travail, parce que rendus infirmes par un état chronique de sous-alimentation. En 2001 ils étaient 821 millions,les chiffres augmentent dans une manière absolue. Le même World Food Report nous dit qu’aujourd’hui l’humanité pourrait s’alimenter sans problème ou garantir pour chaque individu une quantité de nourriture équivalente de 2700 calories par jour pour douze milliards d’êtres humains. Mais la situation est différente! Il n’y a pas aucune fatalité, il n’y a pas aucune loi de la nature qui justifie ce sacrifice de vies humaines. Pour chaque enfant qui meurt de faim, il y a un assassin ! J’ai pris en examen seulement la faim, mais j’aurais pu parler des 2,2 milliards de gens qui n’accèdent pas à l’eau. J’aurais pu parler du low intensity war, des indicateurs de l’Organisation mondiale de la santé qui communique la réapparition de toutes les grandes épidémies: du paludisme au choléra, sans parler du sida. Je m’arrête, l’ordre mondial contemporain n’est pas seulement meurtrier, il est aussi absurde. Seulement en 2005, les victimes ont été 52 millions à cause de ce que nous appelons sous-développement.

Antonio Torrenzano. Qu’est-ce qu’il y aura après la mondialisation?

Jean Ziegler. Le pouvoir territorial de l’État-nation est presque mort. Harbermas affirme que les Nations Unies incarnent la nouvelle démocratie transcontinentale. Je ne crois pas, puisque l’ONU se trouve dans une situation de pleine schizophrénie. Je le cite l’invitation de la Banque Mondiale que j’ai reçue, dans l’avril 2003, salle 11 du Palais des Nations à Genève, dont le titre était “will development ever reach the poor?”. La situation contemporaine est un gigantesque insuccès. En 1990 sur la planète deux milliards 718 millions de personnes vivaient en conditions d’extrême pauvreté, huit ans plus tard deux milliards 800 millions, donc cent millions en plus.

Fabio Gualtieri
Claudio Poletti
Antonio Torrenzano

 

 

Bibliographie.

Jean Ziegler, «Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent», Paris, Fayard, 2004.

Jean Ziegler, « Le Droit à l’alimentation», Paris, éd. Mille et une nuits, 2003.

Jean Ziegler, « La faim dans le monde expliquée à mon fils», Paris, éd. Seuil,1999.

Jean Ziegler, « Les seigneurs du crime, les nouvelles mafias contre la démocratie », Paris, éd. Seuil, 1998.

 

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Conversation avec Marc Augé, anthropologue, écrivain, professeur. Il est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, dont il a été le président de 1985 à 1995. Auteur notamment de «Non-lieux», Marc Augé a écrit nombreux essais sur la modernité publiés en différentes langues étrangères et plusieurs conversations sur l’anthropologie et la modernité. Comme auteur, il vient de publier son dernier essai «Où est passé l’avenir ?», aux éditions du Panama de Paris. Le dialogue avec le professeur s’est développé dans plusieurs rencontres en deux villes italiennes: Modène et Reggio Émilia pendant le printemps 2008.

 

Antonio Torrenzano.Dans votre dernier essai, vous écrivez que l’historie ancienne et contemporaine, elle ne réussit plus à suggérer des solutions pour l’avenir et que notre temps présent apparaît de plus en plus incertain. Pourquoi l’avenir s’est-il évanoui dans les consciences individuelles comme dans les représentations collectives?

Marc Augé. L’évolution actuelle nous oblige en effet à affronter une complexité accrue. Et l’avenir, sans doute, est moins prévisible qu’hier. Mais je vous ferai remarquer que c’est au prix d’une erreur que les hommes, hier, pouvaient se croire capables d’imaginer leur avenir. Je distinguerai à cet égard deux types d’erreurs: l’erreur morale, par excès d’optimisme, et l’erreur intellectuelle par incapacité à concevoir la complexité. Ce point mérite qu’on s’y arrête, car il commande la réponse à votre interrogation concernant le problème du sujet et de la pauvreté de nos instruments de connaissance. En fait, dans les sciences humaines comme dans les sciences de la nature,la connaissance progresse, mais le progrès lui-même découvre l’immensité de ce qui reste inconnu. Plus nous comprenons, plus se démêle une complexité dont il n’est pas question de trouver l’ultime secret. Je crois que nous sommes en train d’apprendre à changer le monde avant de l’imaginer, à nous convertir à une sorte d’existentialisme pratique. L’avenir fut longtemps porteur d’espoir pour de nombreuses civilisations. Un présent immobile s’est désormais abattu sur le monde, désactivant l’horizon de l’Histoire aussi bien que les repères temporels des générations. Durant des siècles et des siècles, le temps fut porteur d’espoir pour les sociétés humaines. On attendait que l’avenir apporte, selon les cas, apaisement, évolution, maturation, progrès, croissance ou même révolution. Ce n’est plus la circonstance. L’avenir semble avoir disparu. Un nouveau régime s’instaure. Il influe sur la vie sociale au point de nous faire douter de la réalité. La démocratie et l’affirmation individuelle prendront de rues inédites dans ce nouveau panorama que nous sommes en train de commencer à apercevoir seulement à présent. La catastrophe serait de comprendre trop tard que, si le réel est devenu fiction, il n’y a plus d’espace possible pour la fiction, ni pour l’imaginaire.

Antonio Torrenzano.Que dire de la modernité dans ce contexte historique? Je souhaite encore savoir comment les sciences sociales et humaines elles affrontent cette double complexité.

Marc Augé. La modernité entendue comme mouvement correspond à l’idée que l’on partageait au XIXe et XXe siècle: l’Histoire avait un sens (une signification,une direction) qui se construisait généralement par accumulation, non par élimination. La ville qu’observe Baudelaire c’est Paris. C’est une ville que se transforme. La forme d’une ville change plus vite, hélas que le coeur d’un mortel, mais la ville que se transforme garde ses marques, ses traces. L’accumulation croissante s’inscrit dans l’espace moderne. Aujourd’hui, les nouveaux espaces ne sont pas des espaces d’accumulation et de cohabitation. Les espaces nouveaux sont ceux qui permettent les déplacements rapides, la transmission des images et de l’information (télévision, internet, le cyberspace), ou la consommation (les hypermarchés constituent des «concentrés d’espaces» où ce sont les différents produits de la planète qui coexistent). Dans tous ces espaces (ceux que j’ai appelés «non-lieux») on ne retrouve plus l’épaisseur de la modernité, des temps accumulés. C’est un premier point. Une autre question est de savoir si l’ensemble de la situation contemporaine peut être qualifié comme «post-moderne», «liquide». Je n’aime pas ces expressions parce que je ne pense pas qu’il veuille dire grand-chose de précis. On peut l’entendre d’ailleurs dans des sens assez différents et il a sûrement été utilisé différemment par Jean-François Lyotard et par les anthropologues nord-américains. J’ai toujours suggéré le mot «sur-modernité», au sens où l’on a parlé de surdétermination (Freud et Althusser). Pour pouvoir analyser efficacement notre présent, il faut l’analyser en ce moment même. Dans les domaines des sciences sociales et humaines, la complexité est double. Certes, de longue date, et sur tous les continents, les mystères de la conscience, les comportements humains, la nécessaire complémentarité entre l’affirmation de soi et la relation aux autres, la co-présence de la mort et de la vie, ils ont fait l’objet d’observations, de mises en forme symboliques qui ne relevaient pas de l’arbitraire et de réflexions profondes à l’écho desquelles nous ne sommes encore pas, aujourd’hui,indifférents. Mais l’on ne peut pas dire que nous n’ayons pas progressé, sur plusieurs plans, dans la connaissance de l’Homme comme créature intelligente et comme créature sociale.La seconde complexité tient au fait que l’objet empirique des sciences sociales (les hommes en société) change avec le temps : les hommes sont dans l’histoire; les hommes se multiplient,s’organisent et se réorganisent. Autrement dit, la complexité croissante de l’objet des sciences sociales ne tient pas seulement à l’amélioration des connaissances, comme dans les sciences physiques, mais à ses transformations: planétarisation, développement technologique, croissance démographique. Mais, là encore, qui dit «progrès du savoir» dit aussi «complexité accrue».

Antonio Torrenzano. Existe-t-il des remèdes, ou des issues de secours ?

Marc Augé. À partir du XXe siècle, la science a accompli de progrès accélérés qu’aujourd’hui ils nous laissent apercevoir de perspectives révolutionnaires. Nouveaux Mondes commencent de s’ouvrir devant à nous: d’un côté, la vision des désastres de la planète avec ses bouleversements climatiques et ses conséquences; de l’autre, la frontière entre la matière et la vie, l’intimité des êtres vivants, la nature de la conscience de chaque individu. J’ai deux observations, à ce propos. La première est tournée vers l’éducation des jeunes. Je crois, en effet, que si nous ne réalisons pas de changement révolutionnaire; il y aura le risque que l’humanité se divisera entre «une aristocratie du savoir et de l’intelligence» et une masse sociale chaque jour moins informée sur celui-là que la connaissance comporte. Cette inégalité reproduirait et il multiplierait en conséquence une supérieure inégalité économique. L’éducation, donc, est la priorité des priorités. La seconde observation est tournée, en revanche, aux conséquences technologiques de la science. Les images et les messages qui nous entourent, ils tâchent de nous rassurer, ils nous aliènent dans le nouvel ordre social,mais sans nous donner les moyens pour le comprendre. Il naît d’ici le risque que j’appelle cosmos-technologie. La science nous fournit l’illusion que tout soit fini, que le monde soit fini. Il nous aide à vivre mieux, mais elle n’a pas produit une nouvelle conscience sociale. La science n’a pas besoin d’inégalités ni de domination. Si, de fait, elle dépend de la politique qui la finance et, en large mesure, l’oriente; la science répond au droit naturel du désir de connaître. Les sciences de la nature ont-elles répondu à cette exigence? Il ne me semble pas si nous analysons le haut taux de misère et d’ignorance de ce désir dans presque 50% de la planète. Le monde contemporain n’obéit pas encore à l’idéal de connaissance et d’une éducation pour tous. S’il était vrai, le contraire ; les mondes contemporains seraient plus justes et aussi plus riches. Nous vivons dans une époque où ils arrivent de choses qu’ils pourraient être très intéressants à raconter, mais qu’ils coulent dans une réalité dominée par l’idéologie de la consommation et des images.

Antonio Torrenzano

Bibliographie (principales publications de Marc Augé).

Marc Augé, «Où est passé l’avenir ?», Paris, éditions du Panama, 2008.

Marc Augé, «Le Métier d’anthropologue:sens et liberté.», Paris, éd.Galilée, 2006.

Marc Augé, «Pourquoi vivons-nous ?», Paris, éd. Fayard,2003.

Marc Augé, «Les formes de l’oubli.», Paris, éd.Rivages, 2001.

«La Grèce pour penser l’Avenir», Marc Auge, Cornélius Castoriadis, Marie Daraki, Philippe Descola, Claude Mosse, André Motte, Marie-Henriette Quet, Gilbert Romeyer-Dherbey, avec une introduction de Jean-Pierre Vernant. Paris, l’Harmattan France, collection l’Homme et la Société, 2000.

Marc Augé, «Pour une anthropologie des mondes contemporains», Paris, éd. Flammarions,1999.

Marc Augé/Antonio Torrenzano, «Dialogo di fine Millennio. Tra antropologia e modernità», Turin, l’Harmattan Italie (essai en langue italienne), 1997.

Marc Augé, «Symbole, fonction, histoire. Les interrogations de l’anthropologie», Paris, éd. Hachette , 1979.

Marc Augé, «Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Introduction à une anthropologie de la répression», Paris, éd. Flammarion, 1977.

 

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Essayons-nous d’imaginer la modernité comme un archipel constitué par une série de mots-clés: identité, altérité, humanité, cosmopolitisme, civitas, différence. Encore,Orient/Occident, Nord/Sud du monde, absolutisme/relativisme,interdépendance/conflit.Quoi faire en ce présent suspendu entre l’ancien ordre juridique et économique du XXe siècle et une gouvernance mondiale pas encore construite? Derrière chaque parole unique, ils se cachent les grands sujets du débat contemporain : la fonction de la politique, le rapport entre moi-même et l’autre, les dangers du fanatisme, les relations entre profit et pauvreté. L’époque qui débuta par la construction du Mur d’Hadrien ou de la Grande Muraille de Chine et se termina par le Mur de Berlin est terminée.

Dans notre espace planétaire global, on ne peut plus tracer de frontière derrière laquelle on pourrait se sentir vraiment en sécurité. Dans «l’hypermarché de la globalisation» se renforcent les appartenances de groupe en fonction identitaire. Le monde traverse donc un changement profond qui amène plusieurs peuples et nations non occidentaux à chercher de nouveau leur identité et le chemin de leur futur. Comme le disait Paul Virilio, nous vivons dans un monde qui n’est plus basé sur l’étendue géographique, mais sur une distance temporelle que nous faisons constamment décroitre par nos capacités de transmission et de téléaction… Le nouvel espace est l’espace-vitesse; ce n’est plus un espace-temps. Cette nouvelle vitesse rend l’action momentanée et donc pratiquement impossible à devenir mémoire.

Mais, ce nouvel espace signifie aussi interdépendance et cohabitation. Ce qui arrive aujourd’hui quelque part dans le monde nous touche tous. Mais cela signifie aussi que la culture mondiale ne détruit pas les identités, mais les transforme. Il s’agit de quelque chose d’absolument nouveau, mais en même temps d’ancien. Dans la mondialisation, les nations et les peuples ne meurent pas, mais ils s’adaptent et en s’adaptant se rapprochent. La mondialisation impose donc une cohabitation inévitable, parce qu’elle diminue les distances. Par conséquent, la cohabitation et la culture du vivre ensemble deviennent une nécessité. Devant la tentation de trop diviser le monde en mondes économiques, surtout en utile et inutile, il faut trouver vite de solutions. La globalisation au lieu de diminuer a probablement accru les inégalités.

Comment alors s’orienter dans cet archipel de la complexité et d’une réalité composée par de contrastes et pas par d’accords? Et encore, quels calculs faire de ce présent suspendu avec les oxymorons qui le caractérisent? Del doman non v’è certezza…

Antonio Torrenzano.

 

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Conversation avec Mino Martinazzoli, avocat, ancien ministre de la Justice de la République italienne, ancien secrétaire de la Démocratie Chretienne, collaborateur et ami de l’homme d’État Aldo Moro. Le dialogue a eu lieu auprès du Lycée scientifique d’État Aldo Moro de Reggio Émilia.

Antonio Torrenzano. Est-ce qu’on peut considérer Aldo Moro comme l’homme politique italien qui a plus compté dans la vie sociale et politique italienne après Alcide De Gasperi ?

Mino Martinazzoli. Aldo Moro a été après Alcide De Gasperi, l’homme politique qui a plus compté dans les ans dramatiques de la “Première République” italienne. Je crois que non seulement nous n’en doutons pas de cette affirmation, mais ils ne doutent maintenant plus les Italiens. Dans l’homme d’État Aldo Moro, il y avait une disposition maïeutique par laquelle ses analyses et son agir politique étaient une nécessité historique pour le développement de l’expérience démocratique de l’Italie. Dans plusieurs occasions Aldo Moro, il nous avait avertis que notre action politique se déroulait dans un contexte de démocratie difficile. Il était la seule démocratie permise à une Italie, il affirmait, qui restait dans une condition géopolitique d’un monde divisé par une concurrence idéologique irrémédiable, dans une Europe occupée pour la moitié à l’est d’un communisme puissant et réalisé, dans une Italie dans laquelle vivait le plus fort et le plus diffus parti communiste. Mais il faut nous demander pourquoi Aldo Moro avait cette capacité inédite d’interprétation des grands passages historiques des mouvements de l’histoire. Pourquoi l’action politique d’Aldo Moro était-elle tendue continuellement à se comparer, à se mesurer avec la dimension historique de la politique? L’homme d’État maintient cette position hors du commun parce que son action politique est toujours liée à son dessous idéal, moral et culturel qui est une exception à la règle de la politique italienne. Et cette condition d’exception fut aussi annonciatrice de beaucoup d’incompréhensions, de beaucoup d’hostilités puisque l’exception Moro était née dans un contexte politique et historique médiocre. Dans une polémique avec Pietro Nenni, par exemple, dans les derniers ans de sa vie politique, qui l’avait réprimandé de simplisme; Aldo Moro répond à Pietro Nenni sur les pages du quotidien “Il Giorno” par la suivante manière: nous ne sommes pas simplistes, nous ne sommes peut-être non plus simples, nous voyons les problèmes dans leur racine intérieure, nous regardons les profondeurs insoupçonnables, les plis amers des âmes humaines et la douleur de tous qui est notre douleur. Nous regardons autour et loin sans illusions. L’action politique d’Aldo Moro dérive donc par cette fidélité rocheuse à la foi; pour Aldo Moro l’inspiration chrétienne n’est pas le tourment d’une difficulté ou un simple sigle pour se distinguer d’autres, mais c’est le quid de son action politique. Action politique qui visait haut: vers la tutelle des besoins de tous les citoyens, aux droits sociaux pour tous, à la construction d’une démocratie pas comme simple formule, mais vraie réalisation de chaque individu et des exclus. Les grandes leçons de Jacques Maritain résonnent et retournent en Aldo Moro pendant toute sa vie politique. Leçons de Maritain qu’Aldo Moro connaissait bien et qu’il avait intériorisées pendant les ans du régime fasciste ensemble à la pensée du philosophe du droit italien Giuseppe Capograssi. L’action politique a du sens quand elle dirige son regard vers la pleine réalisation de chaque individu dans le cadre général de la liberté.

Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous faire des exemples?

Mino Martinazzoli. Je désire, encore une fois, souligner le parcours humain d’Aldo Moro, c’est-à-dire celle d’une robuste cohérence pendant tout l’arc de son aventure humaine et politique. Il n’existe pas contradiction entre le Moro intellectuel et professeur universitaire qui parle et qui écrit du droit, le Moro de l’Assemblée pour la rédaction de la Constitution italienne, le Moro des grands processus politiques pour la gestion du Pays. Il y a toujours cette fidélité à un but, à une idée exigeante de la politique de poser l’homme et sa dignité au centre de son action, au centre de la société démocratique, L’article 2 de la Constitution italienne: la République garantit les droits inviolables de la personne comme individu et dans les formations sociales. Il est la formule juridique qui sanctionne, dans une manière la plus élevée, la pensée d’Aldo Moro. Cette idée que l’homme naît comme être social, que la personne se reconnaît dans la relation, pas dans l’égoïsme ou dans la solitude de sa simple liberté, c’est en Aldo Moro une continue hantise de comprendre comment l’histoire de l’humanité pourra continuellement avancer. La liberté est le maximum étendu de nos possibilités, de nos capacités d’agir, la liberté n’aime pas de limites, cependant la liberté de chacun a besoin d’un ordre juridique qui rend tout vraiment libre. Je serais tenté de dire que l’idée de liberté pour Aldo Moro était le suivant : ma liberté commence où ta liberté commence. À l’ordre juridique, au contraire, appartient le but d’assurer cette liberté à tous les citoyens.

Antonio Torrenzano. Vous avez affirmé que pour Aldo Moro la liberté de chacun a besoin d’un ordre juridique qui rend tout vraiment libre. Quelle était alors l’idée d’Aldo Moro sur le rôle de l’État.

Mino Martinazzoli. L’idée d’État qu’Aldo Moro évoquait toujours avec des termes très précis, il était l’État qui pouvait garantir la complète dignité de chaque individu. Cette idée on peut la lire dans l’introduction de la Constitution italienne. Et à tous ceux qui lui objectaient la question: cette affirmation pour laquelle la République garantit…, que valeur juridique aura-t-il à l’avenir ? Aldo Moro expliquait: il aura la valeur de faire de manière qui ne sera pas permise à une majorité parlementaire quelconque d’aller au-delà ces préceptes et ces garanties de valeurs. Si son intention s’était réalisée, nous aurions probablement eu un pays différent et une condition politique différente. S’il n’avait pas été soustrait à sa vie, à sa famille, à la politique italienne, les événements seraient probablement allés de manière différente. J‘ai l’impression qui l’ampleur et la richesse des désirs d’Aldo Moro soient incomparables avec la condition qu’aujourd’hui nous concernes. Demain, il y aura quelque chose de nouveau, il aimait affirmer, et je vous réponds si ! Mais c’est aujourd’hui notre temps, notre présent, celui-ci est le temps qui a été donné à nous de vivre, celui-ci est le temps de notre bataille. Nous devons être capables de provoquer l’inertie bornée de l’Histoire, de plier le cours historique au procès de la libération humaine par l’action patiente de la politique ou nous, au contraire, accepterons le destin de l’histoire.

Antonio Torrenzano. Comment Aldo Moro analysait-il le mouvement du 68 en Italie?

Mino Martinazzoli. Aldo Moro avait toujours dit, pendant ses discours et en regardant la société comme il était, que dans les ans 1968/1969 il y avait une nouvelle évolution sociale, un nouveau procès de changement. Les individus demandaient d’être plus libres; la société voulait être plus autonome de la politique. Aldo Moro avait déjà compris le sens, le don précieux de ce mouvement d’émancipation sociale, le mouvement d’émancipation féminine auquel il regardait avec une grande sympathie. Il analysait ce mouvement juvénile dans une manière attentive et par un point d’observation privilégié : l’université. Il n’avait jamais voulu cesser de travailler comme professeur universitaire. Il affirmait qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et l’enseignement universitaire parce qu’il y avait pas de raison de se soustraire à ces frais et immédiats contacts avec les jeunes comme porteurs des nouveautés. Du mouvement 68/69 en Italie, Aldo Moro craignait les pointes les plus aiguës, les pointes extrêmes qui se jetèrent dans la violence et dans le terrorisme des années 70. Mais, je reviens à l’introduction de notre dialogue, pour dire que les souvenirs ne certifient pas une présence, ils affirment une mélancolie de l’absence. Il nous reste, cependant, la clairvoyance silencieuse d’Aldo Moro comme Mario Luzi l’a appelée. La fidélité et la cohérence à ses valeurs. Il nous reste un arbre qui grandit sur ses racines, l’idée qui résiste et s’alimente aussi dans le contraste, dans l’inertie, dans la déception, pour que la graine, qui trouve une bonne Terre, il puisse être réchauffé et gardé.

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Marco Ferri, professeur agrégé de droit, avocat, chercheur auprès de la faculté de sciences juridiques de l’Université de Modène. Marco Ferri a consacré une grande partie de sa recherche scientifique à Aldo Moro en qualité d’enseignant et d’éducateur.

Antonio Torrenzano. Peut-on affirmer qu’Aldo Moro vit par l’actualité de sa pensée?

Marco Ferri. La grandeur d’Aldo Mauro a été sa capacité d’anticiper les phénomènes, d’être un précurseur des événements sans jamais les poursuivre. Sa clairvoyance et sa force éthique, ils ont même marqué le parcours de sa vie jusqu’au moment ultime d’elle. L’actualité de sa pensée est renfermée dans la modération et dans la douceur de sa façon de déduire l’avenir. À ces qualités s’unissaient la profondeur et la perspicacité de ses analyses. La recherche d’un point d’équilibre ou de synthèse ne culminait jamais dans d’impositions unilatérales et infécondes. Aldo Moro a rendu propices d’importants procès progressifs pour la démocratie italienne, toujours féconds. J’étais un étudiant quand il fut assassiné, mais j’eus tout de suite la perception, bien que sommaire, de la gravité de l’assassinat d’Aldo Moro et du dégât provoqué à la démocratie italienne et à la société même. L’assassinat d’Aldo Moro a tragiquement souligné le sillon entre la férocité et la barbarie sanguinaire du groupe terroriste destiné à la faillite et la grandeur humaine d’un Homme qui a produit solutions politiques par ses idées.

Antonio Torrenzano. Et les discours à l’Assemblée, ses cours universitaires? Son rapport avec les étudiants?

Marco Ferri. Les discours auprès de l’Assemblée constituante pour la naissance de la République italienne sont un point de repère pour l’histoire contemporaine italienne dont son analyse sur la nécessité d’une irremplaçable et robuste école publique pour le Pays, mais sans le monopole sur le plan éducatif et pédagogique. Ses leçons universitaires de droit et procédure pénale à l’université de sciences politiques à l’université de Rome et Bari. Ses cours et ses réflexions sur la personne humaine, sur la dignité de chaque individu. Vous devez savoir que, pendant les leçons universitaires tenues dans l’année académique 1975/1976, Aldo Moro prononce 1214 fois les mots Personne humaine, Homme, Humanité. L’harmonisation des valeurs de l’individu est pour Aldo Moro une exigence consacrée par la règle juridique, soit du droit civil soit du droit pénal. La modernité et l’actualité de la pensée d’Aldo Moro, elles ne sont pas seulement vérifiables par ses cours universitaires, mais aussi par l’attribution de thèse de maîtrise à ses étudiants sur la tutelle pénale de l’environnement ou sur la tutelle pénale de la protection des données personnelles. Il était le 1976 et nous n’avions pas encore le réseau net. À la faculté de Sciences Po de l’université de Rome, comme il a toujours affirmé Giuliano Vassalli, Aldo Moro transmet à ses garçons et jeunes filles les principes fondamentaux de la vie humaine en partant du droit pénal. Le rapport avec ses étudiants n’était pas seulement traditionnel et j’aimerais vous l’expliquer par deux exemples. En cas d’absence d’un étudiant pendant ses cours ou l’hospitalisation d’une élève, la visite en hôpital ou à la maison de la part du professeur Aldo Moro était toujours ponctuelle, garantie afin d’acquérir renseignements sur l’état de santé de l’étudiant ou simplement pour le réconforter. Essaiez vous d’imaginer l’effroi de la visite inattendue… Comme pour les visites d’instruction qu’Aldo Moro et ses garçons avaient l’habitude d’organiser près de quelques instituts juvéniles de peine, prisons, hôpitaux psychiatriques à la fin de chaque cours universitaire. Aldo Moro croyait, en effet, que les étudiants devaient se rendre personnellement compte de la réalité. Réalité aux fois méconnues, réalité aux fois pas imaginées et prendre conscience de la souffrance. Pour l’organisation du voyage, par exemple, il y avait presque toujours deux autobus et le professeur Aldo Moro voyageait avec ses garçons en s’alternant entre les deux moyens de transport: à l’aller dans un autobus, au retour dans l’autre véhicule pour partager et réfléchir avec tout le monde sur la visite, mais surtout sur la réalité de situations.

Antonio Torrenzano.Comment peut-on alimenter ces lieux de mémoire ?

Marco Ferri. Qui veut alimenter la mémoire et avoir une fidélité pas superficielle à l’Aldo Moro enseignant, à l’Aldo Moro éducateur ainsi qu’Homme, il devra lire les essais de ses jeunes collaborateurs en ces temps-là, devenus après enseignants dans de nombreuses universités italiennes. Je pense à la précise oeuvre scientifique de Francesco Tritto, son élève le plus jeune et mort l’an dernier, qui a dédié à Aldo Moro une grande partie de sa recherche. Les écrits de Francesco Saverio Fortuna, les écrits de Giuliano Vassalli, de Maria Luisa Famigliari, Nicola Rana, Francesca Minerva ou de Fulco Lanchester ancien directeur de la faculté de sciences politiques de Rome. Ces travaux scientifiques ne sont pas traduits en langue française, mais ils sont la fidèle mémoire de l’opéré d’Aldo Moro. Je désire enfin rappeler l’article du même Aldo Moro,titré «Confindenze di un professore» et publié dans la revue Azione Fucina, au Noël du 1944. Dans son article, l’éducateur Aldo Moro affirme: l’enseignant reçoit toujours ce qui a donné. On reçoit toujours tout cela qui naît par d’un amoureux dévouement. Le don semble aux yeux de chaque enseignant une petite chose,mais, au contraire, il a de la valeur immense. Pour qui enseigne, celui-ci est le plus haut cadeau: la joie d’une jeunesse inépuisable qui s’alimente perpétuellement dans la fraîcheur des jeunes.

Antonio Torrenzano.

 

Bibliographie.

Aldo Moro, «Lezioni di istituzioni di diritto e procedura penale» (a cura di Francesco Tritto), Bari, Cacucci editore, 2005. L’essai, il contient aussi un DVD avec tous les cours développés par Aldo Moro pendant l’année académique 1975/1976 en format mp3.

Francesco Tritto, Saverio Fortuna, «Il valore della persona umana nel pensiero giuridico di Aldo Moro» in Crisi o collasso del sistema penale?, Cassino, Università agli studi di Cassino, 2002.

Fulco Lanchester, «Aldo Moro e la Facoltà romana di Scienze politiche», in atti dell’incontro della Facoltà di Scienze politiche de l’Université de Rome, 2002.

Giovanni Conso, «Ricordo di Aldo Moro», dans la revue Giustizia penale, 1978.

Saverio Fortuna, «Aldo Moro visto da vicino», Cassino,Università agli studi di Cassino, 2002.

 

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Caro Aldo,

comme nombreux de ma génération, j’étais à l’école le matin du 9 mai 1978 et j’avais 12 ans. Nos cours scolaires vinrent interrompus et nous nous réunîmes tous autour du bureau de notre enseignant pour écouter les nouvelles à la radio. Le mois de mai 1978, pour ma génération, il ne sera pas rappelé pour les quarante ans de 68 en Italie, mais pour ta disparition et la mort de Raffaele Iozzino, de Oreste Leonardi, de Giulio Rivera, Francesco Zizzi et Domenico Ricci, agents de police assassinés au mois mars 1978 dans la rue Via Fani. J’ai pitié et peine pour les assassins, mais ni haine ni rancune. Pitié, seulement de la pitié ! Comme individus, en revanche, j’essaie honte pour les nombreuses omissions des institutions italiennes et étrangères, qui ont empêché le travail de la magistrature italienne à découvrir toute la vérité.

Comme nombreux de ma génération, la Démocratie est l’unique horizon pour toutes les communautés des vivants, le dialogue le seul moyen pour comprendre les autres, les droits humains un point de repère absolu, la négation de toutes violences une condition pas négociable.

Que reste-t-il, Aldo? Qu’est-ce qu’il reste? Ils restent tes idées, la modernité de tes leçons universitaires, ta vision sur la centralité de l’Homme. Il reste en nous la recherche continue de l’humanité dans tous nos rapports sociaux. L’attention et la défense de la personne humaine, de sa dignité, de l’idée de justice, de vérité, de liberté. Il reste la certitude de ces valeurs.

À conjuguer rigoureusement laïcité et foi, à conjuguer la recherche dans les sciences humaines et sociales et les effets concrets dans la société, l’action sociale à la défense de tous les intérêts collectifs, au refus qu’une société démocratique peut justifier la peine de mort. Parce que la peine de mort est une honte inimaginable pour une démocratie sociale et politique.

À avoir toujours la vision d’une École, d’une Éducation nationale en mouvement et corps vivant de la société. D’être des sujets engagés dans l’enseignement,des sujets qui se sont déshabillés de leurs intérêts particuliers parce qu’ils ont mis à disposition de la collectivité et des nouvelles générations leur intelligence, leur volonté, leur initiative, leur capacité de choix. À nous faire toujours rappeler qu’un fonctionnaire public satisfait non seulement les intérêts d’autrui, mais quotidiennement il déroule une mission sociale. À ne pas oublier d’être inutiles servi sumus. De rester toujours inquiets, car qui croit, il sera toujours un inquiet à la recherche de l’absolu.

Pour ma génération, Aldo Moro est encore vivant. On meurt quand on évite une passion, quand on commence à préférer le noir ou le blanc sans distinguer toutes les tonalités du gris. On meurt quand on ne distingue plus l’ensemble d’émotions… justement celles qui font briller les yeux, celles qui font devenir un simple bâillement en souri, celles qui font battre le coeur devant à la faute et aux sentiments. On meurt quand on commence à abandonner un ouvrage avant du commencer, qui ne pose pas de question sur des sujets qui ne connaissent pas, qui ne répond pas sur un sujet qui connait bien. On meurt quand un homme devient esclave de l’habitude, en répétant chaque jour les mêmes parcours. On meurt, quand un individu ne risque plus à poursuivre un rêve.On meurt, quand une personne n’attache plus de la valeur à la parole que nous permet de vivre et de nous émouvoir. On meurt, quand une communauté n’attache plus de la valeur à la noblesse de tout individu, à sa gentillesse, à sa dignité.

Ils sont passés trente ans de ta disparition et pour ma génération tu es encore avec nous, mais la mélancolie de ton absence est identique à celle du 9 mai 1978.

 

Antonio Torrenzano.

 

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Le 9 mai 1978, après 55 jours d’asservissement, le corps sans vie d’Aldo Moro, professeur et ancien président du gouvernement de la République italienne, est retrouvé en rue Caetani dans le compartiment à bagages d’un Renault rouge.

Le professeur Aldo Moro avait été enlevé dans le mois de mars de la même année en Via Fani par un commando terroriste composé de 12 personnes.

Pendant l’enlèvement et le conflit en Via Fani, les assassins massacrent Raffaele Iozzino, Oreste Leonardi, Domenico Ricci, Giulio Rivera, Francesco Zizzi, les agents de police à protection de l’ancien président de la Démocratie chrétienne.

Trente ans après, cinq procès de la magistrature italienne et les travaux de deux commissions d’enquête du Parlement de la République italienne ne sont pas encore parvenus à toute la vérité sur l’assassinat d’Aldo Moro.

 

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec M. Philippe Lemoine, ancien commissaire à la protection de données, président de Laser, aujourd’hui commissaire en charge de la publicité en ligne et M.me Odile Riondet, maître de conférences à l’université de Haute-Alsace, chercheur au Laboratoire d’intelligence des organisations de Colmar et chercheur associé GREDIC-CNRS de Paris.Le dialogue a eu lieu à Paris.

 

Antonio Torrenzano. Dans cette nouvelle culture digitale, l’individu est protagoniste. Quel changement dans la sociologie de l’information et de la communication ? Comment procéder ?

Philippe Lemoine. Dans « La société en réseaux », Manuel CASTELLS écrit : « nos sociétés se structurent de plus en plus autour d’une opposition bipolaire entre le Réseau et le Soi ». La puissance de la mutation en cours, autour notamment d’Internet, ne provient pas seulement d’une rupture technologique. Elle provient également d’une évolution profonde de la société qui porte précisément sur la question de l’individu et de son rang. Un des plus forts axes de changement concerne la question de l’individu. Regardez-vous simplement les titres des livres qu’ils ont été publiés dans ces années à ce sujet. Jean-Claude Kaufmann : « Ego ». Robert Castel : « Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi ». Alain Touraine : «La recherche de soi, dialogues sur le sujet ». Quel changement dans la sociologie! Où sont passés les systèmes ? Où est passé l’acteur social ? Où est la volonté psychanalytique de déconstruction du sujet ? L’heure est à la recomposition des identités. Selon Alain Touraine, la priorité d’aujourd’hui, avant la question de l’action sociale, c’est la question de savoir qui on est. Il en va de même quand on analyse la pensée sociologique dans d’autres pays d’Europe ou, aux États-Unis. C’est qu’il existe aujourd’hui, c’est une forte rupture qui tient à ce que le projet romantique issu du XIXe siècle qui enjoignait aux élites de devenir architectes de leur propre vie, elle est en train de devenir un ouvrage de masse. Chacun est à la recherche de son identité, de son individualité. Chacun veut échapper à toute forme de déterminisme social. La mode, les médias, l’évolution vers la personnalisation, l’organisation même des marchés : tout cela est tiré par cette demande.

Odile Riondet. Les textes en communication abordent, à leur manière, le thème de la connaissance et ils renvoient à des textes philosophiques à propos du sujet. Nous ne recouperons que partiellement les problèmes soulevés par la philosophie cognitive, que l’on mette sous ce terme des auteurs en philosophie de l’esprit, comme J. R. Searle, D. C. Dennett ou D. Sperber, ou des auteurs tentant une synthèse des questions cognitives et des problèmes philosophiques. Partir de la notion de connaissance devrait permettre de mettre en évidence les traditions philosophiques et épistémologiques différentes dans lesquelles les auteurs en communication se meuvent et une réflexion ouvertement cognitiviste peut se situer. Notre discipline pose au départ un problème. Le pluriel « sciences de l’information et de la communication » laisse penser qu’il y a deux objets. On pourrait envisager un recoupement entre philosophie et communication distinct de l’intersection entre la philosophie et l’information. On fera ici le choix d’utiliser le mot de « communication » comme un générique de toute observation sur le contenu et la relation. Dans les textes en sciences de l’information et de la communication, on peut repérer nombre de références philosophiques, si l’on veut bien y être attentif. Et avec une variété et une densité qui ne laissent pas de surprendre. Daniel Bougnoux estime que « les Sciences de l’information et de la communication, dans leur disparité actuelle, remplissent mal les critères de la scientificité».

Antonio Torrenzano. Plus l’informatisation progresse, plus la société va, plus nous savons que nous sommes aux avant-postes d’une nouvelle problématique sociétale qui émerge de cette rencontre entre l’individu, l’ordinateur et la conception de l’universel aujourd’hui. Par exemple, est-ce que percevoir est l’équivalent de réfléchir dans les nouveaux médias?

Odile Riondet. Il n’y a pas de communication sans ouverture perceptive au monde. C’est pourquoi les recherches en communication pensent la perception. Je fais ici particulièrement référence à l’École de Palo Alto. Dans l’essai «Une logique de la communication», chapitre numéro 4, intitulé « Structure de l’interaction humaine », les auteurs cherchent à décrire l’ouverture à l’autre comme une variante de l’ouverture au monde. L’individu humain est considéré comme un système ouvert, en interaction permanente avec les autres et avec son environnement, échangeant avec eux de la matière, de l’énergie ou de l’information. La description situe Palo Alto dans la mouvance intellectuelle de Locke. Le «système ouvert » humain absorbe l’information qui l’entoure comme, pour Locke, nous sommes exposés aux sensations, qui nous permettent d’acquérir nos premières idées, comme les couleurs ou les matières. Nous appelons stimulus aujourd’hui ce qui, hier, était nommé sensation. On pourrait compléter ce tableau par les observations de Hobbes, qui sont en quelque sorte l’équivalent de ce que seraient aujourd’hui les neurosciences : ce que nous appelons image ou couleur « n’est en nous qu’une apparence de mouvement, de l’agitation ou du changement que l’objet produit sur le cerveau, sur les esprits ou sur la substance renfermée dans la tête ». Ainsi, nos apprentissages se font par imprégnation ou accumulation d’expériences provenant des réponses neuronales à des stimulus externes. Une fois posée cette généralité, un certain nombre de questions demeurent comme vous affirmez dans votre question.

Philippe Lemoine. Chacun aime la technologie et Internet a suscité un enthousiasme que l’informatique n’avait pas provoqué depuis longtemps. Chacun aime les thèmes de la société d’information et ses promesses d’individualisation et de personnalisation. Chacun veut croire à l’idée que plus de technologie égale plus de communication et d’échange et donc plus de démocratie.Alors pourquoi nous ne distinguons pas encore notre nouveau présent et sa complexité? L’économie n’échappe pas à cette évolution. L’innovation de services des années 50 tenait ainsi pour beaucoup à la personnalité même des entrepreneurs. L’innovation d’aujourd’hui, c’est une innovation de services qui permettent aux clients eux-mêmes de se reconnaître comme personnes. La politique à son tour est soumise à ces nouvelles démarches. Dès que l’on se concentre sur les questions d’informatique et de libertés, on est soumis à une succession aveuglante de flashs. Tout ce qui a trait à l’individu est éclairé par une lumière stroboscopique : roi ou esclave, individu fiché ou personne maître de l’interactivité. Ces contrastes ne renvoient en rien à un quelconque esprit binaire et moins encore, au machiavélisme. Nous sortons en fait d’un tunnel et découvrons un Nouveau Monde. La lumière nous aveugle. Nous sommes aux avant-postes et distinguons des formes, mais nous ne savons pas encore discerner les couleurs. Je me contenterais donc d’un discours en blanc et noir sur le futur qui se dessine. Blanc : la montée irrésistible d’une nouvelle figure de l’individu. Noir : les enjeux que cela soulève quant à notre conception du temps, de l’espace, du pouvoir et du double.Tout l’enjeu, c’est de savoir qui et comment peut agir sur cette opposition, peut s’inscrire dans ce clonage pour en faire émerger des motifs d’espoir. Ma conviction, c’est que les institutions, chargées de l’informatique et des libertés, de la privacy et des droits de l’homme sont au coeur de cet enjeu d’avenir. L’Odyssée de l’individu ne nous garantit pas un avenir en blanc.

Antonio Torrenzano.

 

À propos de ce thème et les recherches à présent, on peut consulter aussi le site du Centre d’Études sur l’Actuel et le Quotidien, Université René Descartes-Sorbonne Paris V, httt://www.ceaq-sorbonne.org