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Il y a quelque jour, je discutais avec des étudiants non européens auprès de la siège de l’université Jonhs Hopkins à Bologne sur l’avenir de l’Europe et de son organisation internationale régionale. De l’extérieur, un citoyen d’un pays tiers, il ne comprend pas comme l’espace commun européen, que depuis un demi-siècle il s’efforce à s’unifier en continuant à s’élargir toujours plus, il puisse être du point de vue de l’international seulement l’ombre de soi-même. Une sensation paradoxale, celle des États membres de l’UE qu’ils se montrent incapables d’adopter de positions communes, de ne pas avoir visions claires sur leur avenir, de ne pas avoir propres stratégies et possibles visions afin de faire devenir leur futur une réalité. Pourtant, de ma discussion informelle avec les étudiants, il émergeait tout ceci.

Sans cartes ni instruments de navigation, comment voyager dans l‘espace virtuel du futur ? Comment découvrir le XXIe siècle? Pôle de tous les rêves et de tous les cauchemars, de toutes les peurs et tous les espoirs, l’avenir européen apparaît de plus en plus incertain et illisible. Les questions générales sont toujours les mêmes : l’Europe veut-elle être seulement un supplément, un appendice de cette globalisation ? L’Europe, saura-t-elle devenir un nouveau lieu dont la mondialisation pourra être repensée en termes différents et avec de nouvelles solutions ? Plus que jamais, il faut nous doter de clés si nous voulons entrer pour de bon dans le nouveau siècle déjà commencé.

Pour chaque citoyen européen, les relations de l’Europe avec le reste de la communauté internationale ne sont pas de simples problèmes de politique étrangère, mais de réflexions du propre sens d’Être à l’intérieur d’un tout. L’altérité, le sens de communauté, le caractère d’unité plurielle ils sont gravés dans l’ADN historique de chaque Européen. Retrouver ce patrimoine universel est donc nécessaire afin d’être de nouveau une possible clé pour recomposer le puzzle international de la planète fragmenté par la guerre, par la violence, par la faim, par la pauvreté, par la négation de droits de l’homme. Le problème dépasse les simples considérations de notre dimension politique, économique,sociale présente.

Encore, à l’intérieur des frontières de l’Europe, un mouvement de citoyens demande à l’UE et à ses institutions, une participation politique plus directe, plus sociale, plus partagée, moins institutionnelle. Ils demandent de changements sur la prise de décisions encore gérées selon les anciennes dynamiques de l’État-nation. Dynamiques désormais trop éloignés de la démocratie participative, devenue réelle dans tous les États membres, mais dont la classe politique de chaque État membre refuse de la voir, de l’analyser, de la gérer, de se confronter, de la reconnaître. Une nouveauté importante à l’intérieur du continent européen, pas encore bien interprétée par la classe dirigeante européenne, que Pierre Ronsavallon, dans son essai «La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance» (éditions Seuil, 2007) et Giovanni Sartori dans sa publication «Trenta lezioni sulla democrazia» (éditions Mondadori,2008), ils ont bien illustré. Toujours à ce propos, après le no Irlandais au traité de Lisbonne, il résulte bien plus que contemporaine la conversation avec le sociologue Alain de Vulpian, publiée dans ce carnet virtuel au mois de janvier 2007.

Peut-on continuer d’oublier notre ancien projet universel ? Peut-on continuer d’oublier notre multiplicité des héritages qui s’enrichissent de leurs histoires entrelacées sans les mettre elles au service de la planète au XXI siècle? Où sont passées nos valeurs? Notre idée de démocratie, l’importance que nous donnons aux droits de l’homme, notre idée de développement sont-elles encore là ? Repartir par nos valeurs pourrait être un moyen pour racheter une authentique crédibilité internationale et donner de la certitude à nombreux pays tiers que de l’Europe ils s’attendent encore beaucoup.

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Eric Hobsbawm, historien, écrivain, professeur au Birkbeck College de l’université de Londres et membre de la British Academy. Auteur de nombreux essais, traduit dans plusieurs langues européennes, dont «The Age of extremes. The short Twentieth Century, 1914-1991», London, 1994; «L’historien engagé», Paris, édition de l’Aube, 2000; «Les Enjeux du XXe siècle», entretien avec Antonio Polito, Paris, édition de l’Aube, 2000; «L’Optimisme de la volonté», Paris, éditions le bord de l’eau, 2003; «Aux armes, historiens. Deux siècles d’histoire de la Révolution française», postface inédite de l’auteur, traduit de l’anglais par Julien Louvrier, Paris, éditions la Découverte,2007. Le dialogue a eu lieu à Rome .

Antonio Torrenzano. Quels sont-ils les analyses anglaises sur la méditerranée comme réalité géopolitique ?

Éric Hobsbawm. La méditerranée n’est plus considérée, comme dans le passé, un élément central. Le coeur, de l’empire. Les Anglais n’ont pas de perspectives précises, ils considèrent la Méditerranée simplement une partie de l’Union Européenne avec ses caractéristiques spécifiques. Ils l’aiment d’un point de vue sentimental et, en effet, ils vont y souvent en vacances. Ils en aiment le soleil, les beautés naturelles… Mais, les pays de cette région sont très différents entre eux : Turquie, Israël, Espagne, Algérie, Tunisie, Italie… je ne peux pas donner un unique jugement ! L’élément commun est la mer. Je note que jusqu’à présent il y a une grande division entre la côte du nord et celle du sud. Divisions qui partent de l’époque des conquêtes de l’Islam; divisions qui persistent depuis un millénaire et qui continuent à être là.

Antonio Torrenzano. Est-ce que la mondialisation atténuera ces discordances? La Méditerranée pourra-t-elle racheter le rôle dynamique qu’elle avait en passé ?

Éric Hobsbawm. Une réponse n’existe pas qu’il vaille seulement pour la Méditerranée. Il est certains que la mondialisation peut unir d’éléments qu’avant ils n’étaient pas en relation, mais je ne crois pas que, sans correctifs, on pourra abolir les différences. À présent dans la Méditerranée existent des tensions pour la pression de l’émigration de régions de la Rive-Sud (avec un excès de naissances), vers l’autre partie de la mer, c’est-à-dire la Rive-Nord avec une baisse démographique forte et plutôt préoccupante. Cependant, il n’y a jamais été une époque où le monde n’a pas cru d’être devant à un abîme. Toutes les époques ont eu une conscience désespérée d’être toujours à moitié d’une crise décisive. C’est quelque chose de chronique dans l’humanité aussi dans cette zone du monde qui n’a jamais été marginale et nous ne pouvons pas la considérer comme influente.

Antonio Torrenzano. Le nouveau millénaire par quoi sera-t-il caractérisé ?

Éric Hobsbawm. Par une mondialisation qui existe déjà et, à moins d’un collapsus de la société humaine, elle est irréversible;par la croissance des inégalités. Les inégalités augmenteront toujours plus parmi qui a beaucoup et qui n’a rien. D’un point de vue économique, cette différence entre les pays riches et les pays pauvres augmentera dans une manière irréversible. Cette différence est de plus en plus évidente, mais pas pour toute la collectivité mondiale. En effet, il y a une partie de la communauté internationale qui oublie cette crise ou elle cherche à ne pas la montrer. La crise financière mondiale aux États-Unis a dramatisé la faillite de la théologie d’un marché mondial libre et incontrôlé. En Chine, par exemple, les inégalités sont énormes et les injustices causées par la transition vers une économie de libre marché causent déjà de gros problèmes à la stabilité sociale. Ce qui me préoccupe c’est cette désagrégation contemporaine, cette espèce d’anarchie qu’il naît de la mondialisation.

Antonio Torrenzano.

 

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Conversation avec Thierry Fabre, écrivain, historien, chercheur auprès de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme de Marseille. Thierry Fabre est également rédacteur en chef de la revue «La pensée du Midi» et l’idéateur des rencontres d’Averroès à Marseille. Auteur de nombreux essais en France dont l’essai «Traversées» ou «Le noir et le bleu», en Italie il a publié par la maison d’édition Mesogea (http://www.mesogea.it)de Messine: «Rappresentare il Mediterraneo» et «Lo sguardo francese» en collaboration avec Jean Claude Izzo. Le dialogue a eu lieu à Messine et Marseille.

Antonio Torrenzano. La Méditerranée semble être un vaste ensemble insaisissable, un territoire incertain aux contours non certains. Une simple étendue maritime placée entre les terres ?

Thierry Fabre. Cette vision, purement géographique, prosaïque et désenchantée, est réductrice. Elle ne tient aucun compte de la force du mythe, de la présence de l’imaginaire, de la trace des contes et légendes, des récits fondateurs qui habitent toujours notre mémoire et qui orientent notre vision du monde. En un mot, elle oublie la culture. Les relations internationales tendent à marginaliser la dimension culturelle des relations culturelles, et c’est d’ailleurs ainsi qu’elle se trompe. Elle oublie en effet une dimension cardinale, celle des représentations. Imaginez-vous la politique de la France vis-à-vis de l’Algérie, ou de celle de l’Allemagne vis-à-vis d’Israël, pouvons-nous les définir en dehors des traumatismes du passé et du système de valeurs qui travaillent sur les imaginaires sociaux ? Ce serait irréaliste. L’action politique s’inscrit sur le terrain des réalités concrètes, matérielles, mais elle a autant une portée symbolique qui donne un sens à tel geste plutôt qu’à tel autre. En outre, le sens donné par un acteur à son geste peut être fort et différent du sens perçu par celui à qui il est destiné. Nous sommes là au cœur des relations culturelles internationales, avec ses ambiguïtés et ses incertitudes, ses libertés et ses contraintes.

Antonio Torrenzano.Qu’en est-il de la Méditerranée ?

Thierry Fabre. Elle est souvent présentée sous une forme tranchée et contradictoire. Elle apparaît soit comme le territoire de toutes les confrontations, soit comme un ensemble uni et rêvé où tous les peuples sont appelés à se retrouver dans un avenir commun. Cette vision contrastée est aussi simple que réductrice, aussi claire qu’inexacte. Une et multiple, la Méditerranée a une mémoire commune et fracturée, fissurée par tant de conflits à travers les siècles, ressoudée par tant de rencontres qui ont donné forme au monde méditerranéen. Il nous faut donc tenter de penser la Méditerranée dans la complexité et non selon une logique binaire: elle existe/elle n’existe pas. Il faut tenter de penser la Méditerranée à la fois comme monde frontière et comme monde passage, travaillé par des opacités et par des porosités, par des replis et par des ouvertures. Tentons donc de discerner les fractures qui se dessinent actuellement en Méditerranée, de comprendre l’histoire idéologique et culturelle de ses représentations, de son identité de frontière et d’apprendre enfin les possibles visages de son avenir. Les fractures qui s’annoncent en Méditerranée sont à la fois économiques, démographiques, stratégiques et culturelles. L’écarte du niveau de vie entre l’Union Européenne et les Pays tiers méditerranéens sont (il est vrai) considérables. Ils sont dans un rapport de 1 à 20 et les PIB de l’ensemble des Pays méditerranéens ne représentent que 5% de celui de l’Union européenne. Un écart énorme compte tenu de la proximité géographique entre ces pays. L’Euro-Méditerranée fait donc voisiner deux ensembles économiques aux réalités disproportionnées, séparés par une fracture de richesse qui ne va pas en s’amenuisant. Sur le plan démographique encore, la Méditerranée se caractérise par des déséquilibres démographiques grandissants. Au nord, des populations dont la croissance est stabilisée et qui sont plutôt vieillissantes, alors qu’au sud et à l’est de la Méditerranée la croissance reste forte et que l’immense majorité de la population est jeune. À l’horizon 2025, un net retournement démographique va s’opérer entre le nord et le sud. En effet, les pays du nord du bassin ne compteront plus que d’un tiers de l’ensemble des populations de la Méditerranée, alors que les pays du sud et de l’est rassembleront près des deux tiers de toute la population du bassin méditerranéen. Ainsi, le facteur humain est-il au cœur des relations euroméditerranéennes.

Antonio Torrenzano. La fracture est-elle devant à nous?

Thierry Fabre. En Méditerranée, les déséquilibres démographiques rendent le statu quo non seulement improbable, mais impossible. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin du communisme, on entend de plus en plus souvent parler de menaces du sud. Cette représentation stratégique est même devenue dominante dans les médias occidentaux. On peut pourtant légitimement s’interroger: qui menace qui ? Qui dispose de la capacité de projection de forces militaires ? Qui dispose de l’arme nucléaire, de la maîtrise des satellites et du pouvoir sur l’information, des capacités financières et de la puissance économique, de l’arme alimentaire ou de la puissance technologique ? Il existe certainement le terrorisme, cette arme du faible au fort, mais elle est inversement proportionnelle à la force de frappe du nord vers le sud. Au-delà de la multitude des foyers de conflit intraméditerranéens, qui ne sont pas encore prêts à se régler par des processus de paix ou d’autres tentatives de stabilisation, la principale fracture stratégique en Méditerranée est dans les têtes. Elle procède par l’imaginaire de la peur ou par le clash des civilisations selon la thèse du stratège américain Samuel Huntington qui oppose irréductiblement l’Islam à l’Occident et il fait ainsi disparaître la Méditerranée comme territoire de médiation entre l’Europe et le Monde arabe. Affrontement de civilisations ou partenariat euroméditerranéen ? Tout dépendra de la capacité des Méditerranéens de définir parmi eux des relations de confiance d’où il dépendra la mise en place d’un espace stratégique commun ou, en revanche, un territoire fracturé où il règnera l’insécurité.

Antonio Torrenzano.

 

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Conversation avec Sami Nair, écrivain, professeur de sciences politiques à l’université Paris VIII-Sorbonne. Sami Nair est directeur de l’Institut d’études et de recherches Europe-Méditerranée et il écrit régulièrement pour les quotidiens «Libération», «El Pais», «Lettre internationale». Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues européennes, dont «En el nombre de Dios», Bercellone, éd. Jearia, Barcelone 1995; «Le regard des vainqueurs. Les enjeux français de l’immigration», Paris, éd. Grasset, 1992. L’entretien a eu lieu à Paris auprès de l’Institut de recherche Europe-Méditerranée.

Antonio Torrenzano. Comment les deux rives de la Méditerranée se perçoivent-elles ?

Sami Nair. Je trouve qu’entre les deux rives (le nord et le sud) de la Méditerranée, il s’agit d’abord d’un problème de représentations. Il y a bien sûr l’inégalité des richesses, la diversité des modes d’organisation sociale, la distribution différenciée des statuts sociaux et des sexes. Plus encore: il y a la manière dont les deux rives se perçoivent. Une perception double sur la raison et sur le sentiment; une sorte de réflexe à la fois spontané et contrôlé, impulsive et réflexive, qui provoque ou l’angoisse ou la haine, la compassion ou l’indifférence et qui peut être meurtrier ou salvateur. Dans son essence, le regard du Nord sur le Sud n’est pas seulement celui du chrétien sur le musulman (ou du juif méditerranéen), du laïc sur le non-laïc, de l’européen sur le non européen et le paysage mental se dessine différemment selon qui habite au nord ou au sud de la Méditerranée. Au Nord de la Méditerranée, on perçoit le Sud à travers une grille certaines fois auto référentielle, stratégique et historique. La relation d’altérité obéit ici à une logique immanente, qui s’appuie sur les fondations d’une puissante civilisation, celle de l’Europe occidentale, porteuse d’une culture universaliste (d’un universalisme réel, non seulement autoproclamé) et de valeurs qui ont fait le monde: raison illuministe, liberté individuelle, égalité juridique garante de la conflictualité sociale, démocratie. Mais, dans le regard de la rive nord-méditerranéenne se conjuguent souvent belle âme, attitude impériale et mauvaise fois pour justifier toujours les nouvelles formes de domination. Toujours sous les mots de coopération technique, économique, culturelle, d’un discours civilisateur… transmis à coups de concepts aujourd’hui et de canon dans le passé.

Antonio Torrenzano. Et la Rive-Sud de la Méditerranée ?

Sami Nair. Les élites du Sud méditerranéen ont historiquement moins agi que réagi. Non qu’elles furent incapables de relever le défi, mais tout s’est passé comme si la force de l’adversaire était supérieure. La Rive-Sud, incapable d’opposer une universalité certaine et singulière à l’universalité abstraite de l’Occident, elle a en permanence oscillé entre la fascination et le rejet, la passion et la haine, le désir ivre de reconnaissance et la volonté infernale d’auto-affirmation. Attitude qui fonctionne différemment si elle est déployée par le technocrate, l’homme d’affaires, l’intellectuel-laïc ou l’intégriste – personnages qui sont depuis trente ans, avec les militaires et les bureaucrates, les acteurs principaux au sud de la Méditerranée. Chacun dans sa façon, ils constituent un mode d’être vis-à-vis de l’Occident. Le technocrate parce qu’il croit de la séparation de la technique de la culture, l’homme d’affaires parce qu’il ne croit qu’aux vertus du négoce; l’intellectuel par son refus de l’éthos occidental et da la modernité sans âme. Pourtant, ces attitudes témoignent moins d’une opposition irréductible entre les éthos des deux rives que d’une situation de communication brisée, paradoxale ou parasitée par de préjugés.

Antonio Torrenzano.

 

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Conversation avec Predrag Matvejevic, écrivain, professeur à l’université Paris-Sorbonne et à l’université de Rome. L’écrivain né à Mostar, fils d’une Croate et d’un Ukrainien, après ses études en lettres, il quitte son Pays pendant la guerre des Balkans pour se réfugier en Italie. Le dialogue a eu lieu à Rome.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer notre conversation en vous demandant quelles sont les conditions préalables pour un nouveau dialogue méditerranéen.

Predrag Matvejevic. L’image qu’offre la Méditerranée est loin d’être rassurante. En effet, sa côte sud présente un certain retard par rapport au nord de l’Europe. Peut-on d’ailleurs considérer cette mer comme un véritable ensemble sans tenir compte des fractures qui la divisent, des conflits qui la déchirent: Palestine, Liban, Chypre, Maghreb, Balkans ? Les rives méditerranéennes n’ont en commun de nos jours que leur insatisfaction. La mer elle-même ressemble de plus en plus à une frontière s’étendant du Levant au Ponant en séparant l’Europe de l’Afrique et de l’Asie Mineure. Les décisions concernant la destinée de la Méditerranée sont si souvent prises en dehors d’elle ou bien sans elle et cela engendre tantôt des frustrations, tantôt des fantasmes. Les jubilations devant le spectacle de la mer méditerranéenne se font rares ou retenues. Les nostalgies s’expriment à travers les arts et les lettres. Les fragmentations l’emportent sur les convergences. Un pessimisme historique s’annonce depuis longtemps à l’horizon. Les exigences ont suscité, au cours des dernières décennies, plusieurs plans et lignes d’action: les Chartes d’Athènes et de Marseille, les Conventions de Barcelone et de Gênes, le Plan de l’Action pour la Méditerranée (PAM) ou le Plan bleu de Sophia-Antipolis projetant l’avenir de la Méditerranée à l’horizon de l’an 2025, les déclarations de Naples, Malte Tunis, Palma de Majorque. Ces efforts, louables et généreux dans leurs intensions, stimulées ou soutenues par certaines commissions gouvernementales ou institutions internationales, n’ont abouti qu’à des résultats limités. Ce genre de discours prospectifs est en train de perdre toute crédibilité. La Méditerranée se présente à aujourd’hui comme un état de choses et elle n’arrive pas à devenir un nouvel ouvrage à construire. Les deux rives ont bien plus d’importance sur les cartes qu’emploient les stratèges que sur celles que déplient les économistes.

Antonio Torrenzano.Pourquoi, à votre avis?

Predrag Matvejevic. Percevoir la Méditerranée à partir de son seul passé reste une habitude tenace, tant sur le littoral que dans l’arrière-pays. La patrie des mythes a souffert des mythologies qu’elle a elle-même engendrées ou que d’autres ont nourries. La tendance à confondre la représentation de la réalité avec cette réalité historique se perpétue. Une identité de l’être en s’amplifiant, éclipse ou repousse une identité du faire. La rétrospective continue à influencer la prospective. Ainsi, la pensée, elle-même, reste prisonnière des stéréotypes. Depuis longtemps, nous savons qu’elle n’est ni une réalité en soi ni une constante: l’ensemble méditerranéen est composé de plusieurs sous-ensembles qui défient ou réfutent les idées unificatrices. Des conceptions historiques ou politiques se substituent aux conceptions sociales ou culturelles sans parvenir à coïncider ou à s’harmoniser. Les catégories de civilisation ou les matrices d’évolution au nord et au sud ne se laissent pas réduire à des dénominateurs communs. Les approches tentées par la côte et celles venant de l’arrière-pays s’excluent ou s’opposent les unes aux autres. La Méditerranée a affronté la modernité avec du retard. Elle n’a pas connu la laïcité sur toutes ses rives. Chacune des côtes connaît ses propres contradictions qui ne cessent de se refléter sur le reste du bassin ou sur d’autres espaces, parfois lointains. La réalisation d’une connivence au sein des territoires multiethniques ou plurinationaux, là où se croisent et s’entremêlent des cultures variées et des religions diverses, elle connaît sous nos yeux un cruel échec. Un exemple? Le Liban, les Balkans . À ce sujet, j’ai rencontré Ivo Andric, peu de temps après l’attribution de son prix Nobel et dans un de ses romans traduits en italien, il y avait une dédicace écrite dans la même langue contenant une citation de Léonard de Vinci: da Oriente a Occidente in ogni punto è divisione . J’ai souvent pensé à cette brève maxime lors de mes périples méditerranéens en écrivant mon bréviaire et je me suis rendu compte à quel point elle s’applique au destin de l’ex-Yougoslavie et aux passions qui l’ont déchirée. Mais, la Méditerranée connaît bien d’autres conflits même sur la Rive-Sud. Sur cette rive, le sable du Sahara avance et efface d’un siècle à l’autre, kilomètres et kilomètres de terres et il ne reste qu’une lisière cultivable entre mer et désert. Or ce territoire est de plus en plus peuplé et ses habitants sont, en majeure partie, jeunes. Qu’est-ce qu’ils feront ? Les tensions suscitent d’inquiétudes au sud mais, aussi au nord. Entre le monde arabe et la Méditerranée, mais aussi au sein des nations arabes entre leurs projets unitaires et leurs propensions particularistes. Les fermetures qui s’opèrent dans tout le bassin contredisent une naturelle tendance à l’interdépendance.

Antonio Torrenzano. Peut-on élaborer une culture méditerranéenne alternative? La Méditerranée existe-t-elle alors seulement dans notre imaginaire.

Predrag Matvejevic. À quoi sert répéter avec résignation ou exaspération les atteintes que continue à subir notre mer ? Rien ne nous autorise toutefois à les faire passer sous silence: dégradation de l’environnement, pollutions, entreprises sauvages, mouvements démographiques mal maîtrisés, corruption au sens propre et au sens figuré, manque d’ordre et défaut de discipline, localismes et régionalismes. Et encore les notions de solidarité et d’échange, de cohésion et de partenariat (ce dernier néologisme est assez révélateur), doivent être soumises à un examen critique. Il n’existe pas qu’une culture méditerranéenne: il y en a plusieurs au sein d’une Méditerranée unique. Elles sont caractérisées par des traits à la fois semblables et différents, rarement unis et jamais analogues. Leurs similitudes sont dues à la proximité d’une mer commune et à la rencontre, sur ses bords, de nations et de formes d’expression voisines. Leurs différences sont marquées par des faits d’origine et d’histoire, de croyances et de coutumes, parfois irréconciliables. Ni les ressemblances ni les différences n’y sont absolues ou constantes. Élaborer une culture méditerranéenne alternative ? L’ouvrage ne me semble pas imminent, ce serait plutôt mieux partager une vision différenciée. Projet modeste, mais plus facile à réaliser. Il faut repenser les notions périmées de périphérie et de centre, les anciens rapports de distance et de proximité, les relations des symétries face aux asymétries.

Antonio Torrenzano

 

 

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Conversation avec Mohammed Arkoun, écrivain, historien, éditeur. Il est professeur émérite à l’Université la Sorbonne (Université Paris III), éditeur de la revue «Arabica» et auteur de nombreux essais qui ont été traduits dans plusieurs langues, parmi lesquels: «Arab Thought«», New Delhi 1988; «Rethinking the Islam today», Washington, DC 1987; «Pour une critique de la Raison islamique», Paris 1982. Le dialogue a eu lieu à Paris pendant un séminaire universitaire .

Antonio Torrenzano.Pourquoi dans vos analyses parlez-vous d’espace méditerranéen ?

Mohammed Arkoun. Il est temps de lire cet espace dans sa diversité religieuse, culturelle, historique au-delà de conflits et les ruptures politiques entre les rives est-sud et ouest-nord. Les dernières conférences internationales, les derniers séminaires et colloques, les ouvrages consacrés à l’espace Méditerranéen ont toujours analysé cette région seulement d’un point de vue géopolitique comme espace disputé par les grandes puissances. Je trouve ces analyses redondantes de lieux communs. Je ne veux pas suggérer qu’il faut revenir à l’aventure du sens en contexte méditerranéen pour se ressourcer spirituellement, moralement, philosophiquement; bien au contraire, je favoriserais en revanche une reprise du projet de la généalogie des valeurs, à une échelle plus large, plus ouverte aux apports récents des sciences sociales, plus inclusive des expériences culturelles et intellectuelles développées dans l’espace méditerranéen. Car la question essentielle qui surgit des profondeurs des cheminements du sens depuis les civilisations sumérienne, assyrienne, égyptienne, hébraïque, grecque, romaines, chrétiennes, islamiques, est, me semble-t-il, la suivante: l’espace méditerranéen est seulement voué à sombrer de spéculations idéalistes et des évocations nostalgiques? Peut-on, malgré une mondialisation sans projet humaniste, identifier dans l’histoire méditerranéenne de la pensée et des cultures une nouvelle imagination créatrice?

Antonio Torrenzano. Comment répondre adéquatement à cette question?

Mohammed Arkoun. La première condition nécessaire à la mise en œuvre d’une stratégie d’émancipation hors des héritages pesants et toujours réactivés par des mouvements idéologiques en contexte méditerranéen, elle consistera à introduire des lignes d’action d’enseignement transnationales. Il s’agit de mettre fin à toutes les historiographies communautaristes et nationalistes imposées par des États religieux aussi bien que les États-Nations sécularisés depuis le XIXe siècle en Europe. Il est temps de lire cet espace dans sa diversité religieuse, culturelle, historique au-delà des conflits et des ruptures répétées entre les deux rives. On sait comment jusqu’à ce jour, l’enseignement de tout ce qui concerne l’Islam est relégué dans les branches spécialisées d’études orientales or Middle East, Near East studies. Même l’Empire ottoman, dont l’histoire s’imbrique avec celle de l’Europe depuis 1453, se trouve rejeté dans le ghetto orientaliste. Il en va de même pour l’histoire des religions, l’histoire de la philosophie et des littératures. Avec les dérives fondamentalistes contemporaines de l’Islam, les ruptures politiques, intellectuelles et culturelles anciennes viennent expliquer la légitimité des rejets d’aujourd’hui. La révision des programmes doit faire l’objet d’un travail de fond d’une équipe internationale d’historiens totalement indépendants de leurs respectifs gouvernements et des accords internationaux garantiront la stricte application de recommandations et de manuels agréés par les historiens. Une attention particulière devra être de plus accordée à un enseignement objectif, critique, moderne, d’une anthropologie historique comparée à l’histoire des religions. Parce qu’il est dans ce domaine, en effet, que les contentieux sont les plus lourds, les exclusions réciproques les plus irrévocables, les clivages mentaux les plus radicaux. Les études scientifiques dans ce sens, ils sont encore trop rares et, quand ils existent, ils ne franchissent que d’étroites sphères de spécialistes.Voilà un exemple de la disproportion entre les attentes légitimes du public et l’inadéquation, le conservatisme, la redondance idéologique ou apologétique de ce qui est offert.

Antonio Torrenzano. Alors comment promouvoir un nouveau dialogue.

Mohammed Arkoun. Il faudrait promouvoir un dialogue des peuples, plutôt que circonscrire les discussions et les décisions dans une association d’États des deux rives ainsi différentes par leurs options juridiques et démocratiques. Les mêmes politiques de coopération économique conduite avec des États sans nations, proposées par l’émergence des sociétés civiles depuis les indépendances des années 1950-60, ils ont produit d’échecs douloureux. La même chose, on peut l’affirmer pour la dimension culturelle et intellectuelle du développement qui a été totalement négligée. Cette négligence a produit des élites politiques et économiques parasitaires dans la Rive-Sud de la Méditerranée qui défendaient des identités imaginaires, sans références historiques et anthropologiques critiques. Ils ont encore mené des processus idéologiques de légitimation de leur pouvoir en faisant des promesses de constructions nationales plus démagogiques que politiquement fondées. De l’autre côté, les États démocratiques d’occident, notamment les anciennes puissances coloniales, ils ont toujours évité toutes les discussions sur le sujet des identités nationales ainsi manipulées et caché sous le nom du sacre droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans cet ordre d’idées, la dimension religieuse des problèmes géopolitiques posés dans l’espace méditerranéen devrait faire l’objet d’une ligne d’action spécifique de recherche scientifique. L’Europe est sur ce point en retard parce qu’elle a traité la dimension religieuse de l’existence humaine, en tant que besoin spirituel, réalisation artistique et culturelle, patrimoine irremplaçable de chaque grande civilisation de manière arbitraire, en créant en Europe une culture du rejet systématique du fait religieux. L’évolution a influencé l’histoire culturelle, spirituelle, philosophique de tout l’espace méditerranéen, berceau du judéo-christianisme, des mythologies gréco-romaines qui ont subi, depuis le triomphe du laïcisme politique, de l’athéisme officiel, de la civilisation matérielle, des marginalisations, des dérives idéologiques dont il importe d’évaluer scientifiquement les enjeux de sens pour l’ensemble des hommes dans l’horizon du XXIe siècle. L’évolution contemporaine de l’islam méditerranéen traduit les effets ravageurs de cette modernité politique et économique arrogante, dominatrice de tous les codes culturels dépourvus des structures de résistance (État de droit, bourgeoisie conquérante, culture laïque alternatif ) mises en place en Europe depuis le 18e siècle. Les sciences sociales, encore moins des sciences politiques, elles n’ont pas encore trouvé les méthodologies et les problématiques qui permettraient de conduire correctement les recherches sur le mode de réception/rejet et les effets désintégrateurs de la modernité dans le contexte arabe iranien turc méditerranéen depuis le XIXe siècle.

Antonio Torrenzano. Qu’est-ce que vous proposez comme solution à ces effets ravageurs pour l’Europe et pour l’islam méditerranéen ?

Mohammed Arkoun. Je viens à la seconde condition nécessaire pour orienter l’histoire de l’espace méditerranéen dans le sens d’une solidarité de destin, que j’appellerai l’Europe humaniste. Il s’agirait d’édifier de nouvelles instances scientifiques Euro-Méditerranéenne soutenues par tous les États vers les intérêts des peuples afin de promouvoir des sciences sociales appliquées à la construction d’un nouvel humanisme universalisable et, non plus, faussement universel. Trois tâches fondamentales devront recevoir la priorité: a) encourager et mettre en chantier des travaux sur l’histoire des langues, des cultures, des expressions religieuses, des groupes ethnoculturels marginalisés, opprimés par les théologies dogmatiques, puis les États nationalistes dans l’espace euroméditerranéen depuis l’expansion du christianisme, de l’islam et des états nations à vocation centralisatrice; b) Promouvoir et répandre une culture juridique moderne qui accélère partout les progrès des sociétés civiles en relation avec des états de droit à l’instar des expériences démocratiques les plus avancées dans le monde; c) créer une ligne d’action Averroès identique au Programme Erasmus de l’Union européenne pour favoriser le déplacement des étudiants, des chercheurs, des artistes, des créateurs dans tout l’espace euroméditerranéen. Je trouve cette idée concrète, accessible et elle pourra recueillir l’unanimité des États et des peuples méditerranéens. Il pourrait offrir pour la première fois, une base intellectuelle, spirituelle, morale et culturelle à la politique de développement économique qui cessera d’être un échange inégal et destructeur de l’espace méditerranéen.

Antonio Torrenzano

 

 

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Conversation avec Maurice Aymard, historien, professeur, un de spécialistes les plus connus de la méditerranée. Il dirige la Maison des sciences de l’homme à Paris et il est auteur de nombreux articles et essais sur l’espace culturel méditerranéen. En coopération avec Fernand Braudel et Georges Duby, il a publié en 1986 «La Méditerranée. L’espace et l’histoire, les hommes et l’héritage». Le dialogue a eu lieu à Bologne, Modène et auprès de l’université de l’État de San Marino.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer notre conversation en vous demandant quoi aujourd’hui il représente notre monde méditerranéen.

Maurice Aymard. Je me contenterai de chercher à mettre en évidence ce que peut représenter notre monde méditerranéen, dans le contexte dont nous débattons aujourd’hui. Il est sûr que la Méditerranée reste l’un de nos horizons de vie, l’une de nos références culturelles. La Méditerranée a été le lieu par excellence de la recherche des origines. De la naissance de l’archéologie par la découverte de Pompéi et d’Herculanum qui a précédé l’expédition d’Égypte de Bonaparte, elle-même préparée par une série de voyages scientifiques, notamment en Italie du sud et en Sicile. À partir des années 1770-80, la Méditerranée a servi aux savants comme laboratoire, comme lieu de travail pour les différentes disciplines, avec d’un côté les sciences sociales et humaines, mais aussi, de l’autre, un certain nombre de sciences aujourd’hui classées comme naturelles, telles la botanique ou la géologie, étaient appelées à travailler ensemble pour constituer des corpus complets de savoirs sur l’homme et son environnement. La Méditerranée fait aujourd’hui partie d’ensembles plus vastes, elle est ouverte largement sur l’extérieur, et sa position et son influence relatives ont varié largement au cours des millénaires. Les villes ont souvent conservé jusqu’à nous au moins certains de leurs insignes urbains : arènes, théâtres, forum, thermes, temples, portes monumentales. Ils désignent les lieux du pouvoir politique, de la vie religieuse, de la sociabilité et des loisirs des citadins. Mais, la Méditerranée ne nous a pas été donnée une fois pour toutes. Elle reste toujours à réinventer. Nos cultures se sont approprié de son histoire pour y situer leurs origines, mais le processus maintenant devra être étroitement combiné sur l’avenir et pas sur l’oubli. La notion même de patrimoine de l’espace méditerranéen représente à mes yeux une sorte de circonstance particulière d’un phénomène plus général, dont je retiendrai ici essentiellement deux points principaux. Le premier, c’est que le patrimoine nous renvoie au passé, mais il vit au présent. Nous l’utilisons pour construire nos identités individuelles et collectives. Nous en avons donc la responsabilité. Il nous appartient, si nous le souhaitons, de le conserver, de le faire vivre, de le rendre accessible, de l’utiliser dans une politique culturelle, qui permet à chacun des pays et à chacune des cultures de la Méditerranée de se réconcilier avec son propre passé, mais qui permet aussi aux autres cultures, aux autres pays, de mieux connaître les autres en partant de cette vision multiple et plurielle du passé comme du présent de la Méditerranée. C’est l’apprentissage de la diversité culturelle et ce sont bien entendu ce respect et cette compréhension de l’autre comme de soi-même qui doivent être à nos yeux l’une des clefs de notre avenir. Le deuxième aspect est l’espace méditerranéen dans lequel nous vivons: il ne nous est pas donné une fois pour toutes en héritage, comme si nous n’avions qu’à nous y mouler. Cette Méditerranée, nous pouvons aussi parfaitement la détruire ou la laisser se détruire, nous pouvons l’oublier, nous pouvons la mettre dans l’un des placards de notre mémoire, et il nous faut toujours aussi en permanence essayer de la réinventer, car elle est à construire et à reconstruire.

Antonio Torrenzano. Pendant les deux derniers siècles, les révolutions industrielles et, plus en général, l’économie ont modifié l’espace méditerranéen dans une manière nouvelle. Quelle est votre analyse ?

Maurice Aymard. Au cours des deux derniers siècles, la formation des états nationaux et la révolution industrielle et commerciale ont à nouveau redistribué les cartes. L’une et l’autre ont tendu à soumettre les villes méditerranéennes à une logique de fonctionnement, de peuplement et d’activité qui n’était pas la leur, et chacune d’entre elles, soumise à cette contrainte nouvelle, ont cherché à tirer au mieux son épingle du jeu. Rome a appris à jouer un second rôle, celui de capitale politique de l’Italie unifiée, sans renoncer au premier, celui de capitale de la catholicité. Simple bourgade en 1830, Athènes a aujourd’hui mangé la Grèce, dont elle regroupe près de 40% de la population. Marseille a tiré tous les avantages qu’elle pouvait tirer de l’aventure coloniale de la France en Asie, au Levant et au Maghreb. Vieille métropole commerciale Barcelone, elle s’est imposée comme le centre d’un district économique particulièrement dynamique qui impose, sur fond de nationalisme catalan, ses conditions à l’état central. Les capitales remodelées par les puissances coloniales qui en avaient fait le centre de leur autorité – Rabat, Alger, Tunis, Le Caire – ont pris en mains, sans hésiter, la gestion de l’indépendance, sans renoncer pour autant à tous les privilèges acquis sous le régime précédent. Le développement économique et la croissance démographique sont, il est vrai, passés par là, ils ont imposé leurs contraintes, brassé leurs populations au rythme de courants migratoires qui ne sont plus à dominante marchande. Plus que jamais, les villes, et notamment les plus grandes, constituent le meilleur révélateur des contradictions de la Méditerranée contemporaine: on y trouve juxtaposés plus encore que réunis le visage, tantôt au contraire séduisant et fascinant, de la modernité. La Méditerranée échappe ainsi à toute définition, celle de l’archaïsme comme celle de la modernité. Mais ses villes y sont des laboratoires d’expériences d’une infinie richesse: la nouveauté s’y mêle sans cesse au familier.

Antonio Torrenzano. La Méditerranée a joué un rôle central dans la conception même de la Maison des sciences de l’homme ?

Maurice Aymard. La Méditerranée est toujours restée un espace de circulation et d’échange (même belliqueux) des biens culturels et matériels, portés par les hommes sur des distances souvent très longues. Ce n’est pas tout à fait par hasard si, à travers son historien, Fernand Braudel, la Méditerranée a joué un rôle central dans la conception même de la Maison des sciences de l’homme au début des années soixante. Et ceci, pour au moins deux raisons : dans son article sur la longue durée, sans doute le plus célèbre ( puisqu’il a été traduit dans toutes les langues et que même ses adversaires les plus critiques se font un devoir de le citer avec plus ou moins de révérence), il proposait pour les sciences de l’homme et de la société, au-delà de leur nécessaire diversité, une ambition commune (toutes les sciences de l’homme parlent la même langue, ou du moins peuvent la parler), dont l’histoire d’un côté, par son attention au temps, et les mathématiques de l’autre, par sa formalisation, détenaient les clefs. À l’origine de la Maison des sciences de l’homme, nous retrouvons cette ambition fondamentale du travail en commun largement ouvert sur les sciences de la nature et sur les sciences mathématiques, mais inscrites aussi dans la longue durée de l’histoire des sociétés. L’Histoire a elle-même son histoire. Construction, à la fois méditerranéenne et européenne, elle est née précisément d’une tension entre des origines méditerranéennes et une reconstruction européenne du temps qui fixe à la Méditerranée cette place et ce rôle d’origine. Point de départ à partir duquel s’est déroulée une aventure humaine qui doit son statut d’exception au fait qu’elle est mieux connue que d’autres. La Méditerranée a donc été le lieu par excellence de la recherche des origines. Cette ambition centrale, qui était celle de la Maison des sciences de l’homme à ses débuts, reste la sienne aujourd’hui et sous-tend la logique de son développement. Ce développement a été marqué par une très large ouverture sur le monde extérieur que nous continuons d’appeler les grandes aires culturelles du monde, que nous connaissons en règle générale mal, et qu’il nous faut mieux connaître. Pourtant, cette large ouverture au monde ne s’est pas faite aux dépens de la Méditerranée. Celle-ci est plus que jamais présente, elle occupe un espace de choix, au cœur de nos préoccupations. La Méditerranée à laquelle nous nous référons comme à une donnée immuable ou presque, elle est en fait en permanence à réinventer. Elle est l’une des clefs de lecture et de réécriture de notre passé, et du même coup, de notre insertion dans un temps collectif placé sous le double signe de la continuité et des ruptures. Sur ce plan, Braudel se distingue de Valéry. Chez Valéry, la référence à la Méditerranée, centrée sur l’Antiquité grecque et romaine, était une réponse au sentiment très profond de déclin de l’Europe qui dominait au lendemain de la Première Guerre mondiale. Conscient que les civilisations sont mortelles et que désormais elles le savent, Valéry cherchait leur éternité dans le passé, en tournant le dos au présent. Pour Braudel au contraire, la Méditerranée constitue l’une des clefs du dynamisme présent et futur de l’Europe, son regard n’est pas tourné vers le passé, mais vers le présent et vers l’avenir, ainsi que vers le reste du monde, dont elle a été le centre jusqu’à la fin du 15e siècle

Antonio Torrenzano.

 

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La Méditerranée ne cesse pas d’être encore une fois le carrefour de nombreux événements. Dans le dernier siècle, ses frontières se sont rendues plus prochaines ainsi que plus proches ses peuples et ses cultures. Mais la proximité plutôt qu’unir les deux rives, elle a développé de nouveaux problèmes. Le bassin semble devenu plus petit, une zone de frontière entre deux mondes qu’ils ne communiquent plus comme avant.

Les données statistiques montrent que dans les derniers vingt ans, la richesse des pays de la Rive-Nord a triplé tandis que la pauvreté de la Rive-Sud n’est pas augmentée. Si nous regardons la réalité économique de la Méditerranée, nous nous apercevons que le bassin est coupé en deux : d’une partie nous trouvons pays avec des structures industrielles robustes, beaucoup de services, formation et santé adéquate, un bien-être diffus, mais des populations plutôt vieillissantes ; de l’autre, des pays avec un apparat industriel faible, des conditions de vie pas toujours acceptables, une population à majorité jeune. L’écarte du niveau de vie entre l’Union européenne et les Pays méditerranéens de la Rive-Sud, il est considérable. Il est dans un rapport de 1 à 20 et les PIB de l’ensemble des Pays méditerranéens ne représentent que 5% de celui de l’Union européenne.

Il y a à se demander comme il soit possible que de pays riches de matières premières doivent dépendre de la Rive-Nord et vivre en conditions de vie de pure survivance. Un écart énorme compte tenu de la proximité géographique entre ces pays. L’Euro-Méditerranée fait donc voisiner deux ensembles économiques aux réalités disproportionnées, séparés par une fracture de richesse qui ne va pas en s’amenuisant. La Méditerranée s’articule en différentes mers auxquelles appartiennent autant de terres. Celles-ci vont des Balkans à l’Asie Mineure, de la Péninsule ibérique à l’Afrique du Nord. Dans son ensemble, l’ancienne mer représente une réalité spécifique en même temps obstacle et lien, point de départ et articulation. Lieux, où d’univers différents ont retrouvé des éléments unifiants dans un contexte unique de vitalité extraordinaire.

Une et multiple: la Méditerranée a une mémoire commune et fracturée, fissurée par tant de conflits à travers les siècles, ressoudée par tant de rencontres. Ils ont été ces événements à donner de la forme au monde méditerranéen. Il faut donc tenter de penser la Méditerranée dans la complexité et non selon une logique binaire: elle existe/elle n’existe pas. Il faut tenter de penser la Méditerranée à la fois comme monde frontière ou comme monde passage par ses replis et par ses ouvertures. Climat, nature, nourriture, manières de vivre, religions changent, ils se mélangent et ils se reconstituent selon s’ils ses trouvent au nord ou au sud de la mer.

Dans l’âge de l’Atlantique, la Méditerranée avait déjà été reléguée à une fonction secondaire. Maintenant la montée de l’économie chinoise et asiatique il nous apporte devant à un autre tournement dans l’histoire des civilisations, d’un océan à un autre océan. L’axe du monde pourrait se déplacer de l’Atlantique au Pacifique, en comportant pour les Européens la responsabilité historique de ne pas transformer ce passage dans un définitif déclin pour la Méditerranée. Tentons donc de discerner les fractures qui se dessinent actuellement en Méditerranée, de comprendre l’histoire idéologique et culturelle de ses représentations, ses identités de frontière, d’apprendre enfin les visages de son possible avenir.

Antonio Torrenzano.

 

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Conversation avec Serge Latouche
, économiste et philosophe, professeur émérite à l’Université Paris Sud, spécialiste de l’épistémologie des sciences sociales, défenseur de la décroissance soutenable. Il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues étrangères.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer notre dialogue avec la mondialisation et la marchandisation de la planète. Dans la société contemporaine, par exemple, est devenu paradoxale qu’il n’est plus possible de vivre hors économie. Pourquoi, à votre avis ?

Serge Latouche. La mondialisation des marchés n’est autre que la pointe ultime de la marchandisation du monde ou autrement dit de son économicisation. Cependant, il faut le reconnaître, l’économie reste mystérieuse pour la plupart des citoyens. Tous les grands journaux consacrent à la question des pages spécialisées que les lecteurs jugent le plus souvent “illisibles” et s’empressent de sauter. Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’il n’est pas possible dans le monde moderne de vivre hors économie. Cela signifie deux choses intimement liées. Tout un chacun participe à la vie économique et tout un chacun possède un minimum de connaissance/croyance sur l’économie. Dans les sociétés contemporaines, nous sommes tous des rouages d’une immense machine qui définit notre place dans la société; travail ou chômage, niveau de revenu, mode de consommation, ces aspects économiques de la vie ont pris une place dominante et parfois exclusive. Le citoyen se définit avant tout par sa situation, son revenu, sa dépense. La vie étant ainsi largement réduite à ces aspects économiques, il est inévitable que chacun soit obsédé par les problèmes économiques. Pour surprenant que cela soit, les préoccupations économiques, en tant que telles, avaient peu de place dans la vie des hommes avant la Renaissance ou en dehors de l’Occident. Chacun accomplissait ses tâches, le plus souvent domestiques, et se préoccupait de politique pour le citoyen grec, de religion pour l’homme du Moyen-Age ou de fêtes et de rituels pour l’indigène d’Afrique. L’épanouissement de l’économie à l’époque moderne seulement n’apparaît pas cependant étrange, car le projet de la modernité repose sur la prétention de construire la vie sociale sur la seule base de la raison en s’émancipant de la tradition et de la transcendance. Dans la vision héritée des Lumières, l’économie n’est que la réalisation de la raison. Il n’est pas étonnant que le développement de l’activité économique se présente comme une montée en puissance de la rationalité. Celle-ci se manifeste de façon indissociable dans la technique et l’économie ; il s’agit d’accroître l’efficience en économisant au maximum les moyens pour obtenir le plus de résultats suivant la norme du “toujours plus”. Cette rationalité quantifiante tourne à l’absurde en devenant sa propre fin, mais cela est une autre affaire. La science économique, de son côté, n’est qu’une rumination bavarde et obsessionnelle de ce principe de rationalité calculatrice.

Fabio Gualtieri. Depuis l’effondrement des pays de l’Europe de l’Est et la faillite du projet socialiste, l’économie de marché connaît-elle un triomphe exclusif ?

Serge Latouche. Le triomphe planétaire apparent de la modernité, par l’impérialisme d’abord militaire et politique, puis de plus en plus culturel, a fait triompher, de fait, l’économie comme pratique et comme imaginaire mondiaux. Depuis l’effondrement des pays de l’Europe de l’Est et la faillite du projet socialiste, l’économie de marché connaît un triomphe exclusif. Ce succès apparaît comme la plus belle réussite de l’économie et des économistes. Le triomphe récent du marché, n’est que le triomphe du “tout marché”. Il s’agit du dernier avatar d’une très longue histoire mondiale.Toutefois, la mondialisation de l’économie ne se réalise pleinement qu’avec l’achèvement de sa réciproque l’économicisation du monde, c’est-à-dire la transformation de tous les aspects de la vie en questions économiques, sinon en marchandises. Sous cette forme plus significative, en étant économique, la mondialisation est de fait technologique et culturelle, et recouvre bien la totalité de la vie de la planète. Le politique, en particulier, se trouve totalement absorbé dans l’économique. La planétarisation du marché n’est nouvelle que par l’élargissement de son champ. On s’avance ainsi vers une marchandisation intégrale. Cette économicisation du monde se manifeste dans le changement des mentalités et dans les effets pratiques. Dans l’imaginaire, c’est le triomphe de la pensée unique, dans la vie quotidienne, c’est l’omnimarchandisation.

Claudio Poletti. La société de marché a-t-elle effacé le pluralisme et les relations humaines? C‘est-à-dire la transformation de tous les aspects de la vie en questions économiques, sinon en marchandises.

Serge Latouche. Le triomphe de la société de marché a fait évanouir les velléités de pluralisme. L’évangile de la compétitivité, l’intégrisme ultralibéral et le dogme de l’harmonie naturelle des intérêts s’imposent. Et cela, en dépit de l’horreur planétaire qu’engendrent la guerre économique mondiale et le pillage sans retenue de la nature. Ce fondamentalisme économique, intégralement présent déjà chez Adam Smith, s’impose enfin sans rival parce qu’il correspond le mieux à l’esprit du temps. Il habite l’homme unidimensionnel. La mondialisation de l’économie, ainsi définie comme économicisation du monde, émancipe totalement la mégamachine techno-économique. Autrement dit, celle-ci absorbe presque intégralement le politique. Cette situation entraîne à terme l’effondrement de la société civile auquel nous assistons. L’expertise remplace la citoyenneté, la technocratie se substitue silencieusement et insidieusement à la démocratie. Il n’y a plus d’enjeu, parce qu’il n’y a tout simplement plus de valeurs à débattre. Ajoutons à cela que les soucis et les contraintes innombrables de la vie quotidienne de l’homme moderne détournent le citoyen devenu usager et consommateur passif, voire manipulé, de s’intéresser à la vie politique autrement que comme spectacle télévisé. La politique-spectacle a précisément pour fonction de faire survivre l’illusion du politique. Comme l’écrivait Romain Gary : Dans cette immense machine technologique de distribution de la vie, chaque être se sent de plus en plus comme un jeton inséré dans la fente, manipulé par des circuits préétablis et éjecté à l’autre bout sous forme de retraité et de cadavre. Bien sûr, cette évolution n’a pas démarré hier, elle est en germe, elle aussi, dès les origines de la modernité, mais elle ne prend toute son ampleur qu’avec l’effondrement du compromis entre marché et espace de socialité réalisé dans la nation, soit la fin des régulations nationales, substituts provisoires et, finalement, à l’échelle de l’histoire, séquelles ultimes du fonctionnement communautaire. La montée en puissance de la technoéconomie entraîne l’abolition de la distance, la création de ce que Paul Virilio appelle une télécité mondiale et l’émergence du village-monde, d’où un effet d’effondrement immédiat de l’espace politique. À partir du moment, déclare Paul Virilio, où le monde est réduit à rien en tant qu’étendue et durée, en tant que champ d’action, de ce fait, réciproquement, rien peut être le monde, c’est-à-dire que moi, ici, dans mon donjon, dans mon ghetto, dans mon appartement (cocooning), je peux être le monde ; autrement dit, le monde est partout , mais nulle part (Interview publié dans le Monde, janvier 1992). Les micro-ordinateurs, les réseaux câblés comme internet, le multimédia accentuent ce rétrécissement. L’accès au forum planétaire, fut-il virtuel, rend caduque l’agora nationale. Une des conséquences de ce repli sur soi est la réapparition des guerres privées. Elles ont resurgi hier en Yougoslavie ou Tchétchénie, aujourd’hui au Liban. La disparition des distances qui crée cette télécité mondiale crée aussi immédiatement la disparition de l’espace national et la réémergence de ce chaos qui rappelle le haut Moyen-âge et la féodalité.

Antonio Torrenzano. Et la disparition du politique comme instance autonome et son absorption dans la sphère économique ?

Serge Latouche. La disparition du politique comme instance autonome, et son absorption dans l’économique fait réapparaître ce qui était l’état de nature selon Hobbes, la guerre de tous contre tous ; la compétition et la concurrence, loi de l’économie libérale, deviennent ipso facto, la loi du politique. Le commerce n’était doux (suivant l’expression de Montesquieu) et la concurrence pacifique que lorsque l’économie était tenue à distance du politique. Dans un tel contexte de dégradation généralisée, le ” chacun-pour-soi ” tend à l’emporter sur la solidarité nationale. Celle-ci se grippe. Les citoyens renâclent à payer pour le “social”, qu’il s’agisse des prisons (dans une triste situation), des asiles, des hôpitaux, des écoles, des malades ou des chômeurs. Cela, d’autant plus, qu’à tort ou à raison, la gestion bureaucratique est montrée du doigt comme inefficace, que le lobby ultralibéral mondial pousse au démantèlement de toute protection sociale et de tout service public. Un mouvement important se dessine en faveur de la privatisation maximale de tout (retraites, sécurité sociale, allocations familiales…) au détriment de la mutualisation des risques. La montée en puissance de l’assurance privée qui s’ensuit alimente ces fonds énormes qui nourrissent à leur tour la spéculation des marchés financiers. La collectivité n’aurait en charge que le strict minimum, encourageant pour le reste le recours à la bienfaisance privée, comme cela est le cas déjà pour le tiers-monde. Je vous fais un exemple: devant la surenchère électorale du candidat républicain, Robert Dole, l’ancien président Bill Clinton a cédé (en août 1996) sur l’abrogation de l’État-providence de Roosvelt, abandonnant l2 millions de pauvres à leur sort, et cela à l’encontre de tous ses engagements antérieurs. Vue d’en bas, la crise du politique se traduit par l’effondrement du social et donc, à terme de la société elle-même. La transformation des problèmes, en effet, par leur dimension et leur technicité, la complexité des intermédiations et la simplification médiatique des mises en scène ont dépossédé les électeurs, et souvent les élus, de la possibilité de connaître et du pouvoir de décider. La manipulation combinée à l’impuissance a vidé la citoyenneté de tout contenu. Le fonctionnement quotidien de la mégamachine implique cette abdication pour des raisons très terre-à-terre : la dépossession productive et l’absence du désir de citoyenneté.Les responsables politiques, eux-mêmes, fonctionnent comme des rouages du mécanisme. Ils se font les exécutants de contraintes qui les dépassent. Les hommes politiques deviennent à leur insu des marionnettes dont les ficelles sont tirées par d’autres, quand ce ne sont pas des “denrées” qu’on achète et vend entre le plus offrant ou le moins-disant, sur un marché politique. La médiatisation de la politique politicienne accentue le phénomène de façon caricaturale. La dimension essentielle actuelle du jeu politique n’est plus le savoir-faire, mais le “faire savoir”. La politique se transforme de plus en plus en marché (développement du marketing politique). La démocratie médiatique substitue l’ambition de plaire à celle de convaincre. Elle prolonge indéfiniment l’agonie du politique en faisant vivre l’illusion de celui-ci comme spectacle. Aboutissement logique de tendances anciennes, ces phénomènes sont récents et en cours d’achèvement.

Antonio Torrenzano.
Fabio Gualtieri.
Claudio Poletti.

Bibliographie.

Serge Latouche, «Le pari de la décroissance», Paris, éd. Fayard,2007.

Serge Latouche, «Survivre au développement», Paris, éd.Mille et Une Nuit, 2004.
Serge Latouche, «Décoloniser l’imaginaire»,Paris, éd. Paragon, 2003.
Serge Latouche,
«La Déraison de la raison économique»,Paris, éd. Albin Michel, 2001.

Serge Latouche, Antonio Torrenzano, «Immaginare il nuovo. Mutamenti sociali, globalizzazione, interdipendenza Nord-Sud»,Turin, éd. L’Harmattan Italie, 2000 (essai en langue italienne).

Serge Latouche, «La mégamachine. Raison techno scientifique, raison économique et mythe du progrès», Paris, éd. La découverte, 1995. (traduction italienne éd.Bollati Boringhieri, Turin l995).